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du reste, au cœur même de la cité et sur une place dont le palais du gouverneur et le corps législatif occupent deux autres côtés.

Les Argentins des villes traitent leurs chemins de fer comme les Arabes leurs chevaux, en camarades, en membres de la famille. On laisse les trains circuler dans les rues, comme dans la campagne, sans barrière. Ils n’effarouchent personne, et il n’y a guère d’exemple qu'ils aient endommagé quelque passant. C’est une des surprises du nouvel arrivant dans une capitale sud-américaine, de voir les wagons aller, venir, côte à côte avec les charrettes qui croisent librement la voie dès que la locomotive est passée. Les tramways traversent le chemin de fer le plus naturellement du monde. Il y en a à La Plata deux réseaux, un à traction de chevaux, un autre à vapeur. Dans un pays où la production et les échanges n’ont pas de plus grand ennemi que les distances, on a un tendre pour les voies ferrées sous toutes les formes. Comment ne se recouperaient-elles pas dans les rues d’une ville? On y est fait. A peine de loin en loin un garde-ligne, un drapeau à la main, fait-il signe aux cochers d’attendre un peu, si le train est en vue, dans un point où une courbe trop prononcée ou la disposition des édifices voisins cache la voie aux voitures qui se disposent à la franchir.

L'éclairage, la distribution d’eau, la canalisation souterraine, ont été, avant que la ville eût une seule maison, l’objet de toute la sollicitude de ses fondateurs. Pour l’éclairage, l’électricité devait séduire des gens pressés. Cela s’installe en un moment. On a plus vite fait de tendre des fils aériens que de loger en terre une conduite en fonte, et établir une machine à vapeur sous un hangar léger est autrement simple et court que de bâtir une usine. Trois ou quatre cents lampes Brush ont satisfait les besoins urgens. Le plus remarquable de ces foyers lumineux est justement sur cette place de la gare, un des points les plus élevés de la ville. Les quatre lampes accouplées qui le forment sont placées à 30 mètres de hauteur et soutenues par une charpente métallique fine comme une toile d’araignée, pourvue de deux ascenseurs élégans à force de légèreté et d’audace. C’est un parfait échantillon d« l’esprit pratique et intrépide des fabricans des États-Unis. Voilà le phare de l’avenir, économique et léger, montant, si l’on veut, jusqu'aux nues, avec quelques bouts de fer, et prenant à distance, au loin, les élémens de sa puissance lumineuse. Bien que situé à 8 ou 10 kilomètres du chenal navigable, ce foyer fait déjà fonction de phare. Il est très connu des marins de ces parages.

Pour tout dire, il faut bien avouer que la lumière électrique de La Plata, charmante quand on erre la nuit sous les ombrages du parc, où elle fait l’illusion du clair de lune, parfaite quand elle est