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la vraisemblance du discours. n’allons pas, pour cette erreur, qui justement n’est qu'une invraisemblance, crier, comme quelques timides, aux horreurs du réalisme, à 1 invasion, au sac ! Il y aurait beau jour, à ce compte, que la scène serait envahie et saccagée : dans la pièce de Palissot, savez-vous comment Gernance, l’ami de Lisimon, — des noms rassurans et qui ne sonnent pas la nouvelle école, — est éclairé sur la condition de Rosalie, la Courtisane, dont il veut faire sa femme ? On va quérir un fiacre pour mener les fiancés au bal ; le cocher paraît : c’est le frère de Rosalie !

Je ne fais pas difficulté de convenir que le quatrième acte me plaît moins. Dans ce paysage de Provence où le héros s’est réfugié, ses propos et ceux de Césaire, de Divonne et surtout d’Irène sont d’un genre voisin de l’opéra-comique. Il est vrai que, vers le milieu de l’acte, le récit du suicide de la petite Doré, fait par Déchelette, mieux ménagé encore que dans le roman, fait couler des larmes, et que l’excellent mot de l’oncle Césaire fait éclater le rire : après avoir parlementé avec Sapho, qui relance Gaussin jusqu'ici, le bonhomme, attendri par elle, gagné à sa cause, s’écrie, avec son joyeux accent : « c’est une sainte ! » Mais Sapho reparaît en face de Jean; et ce nouveau duo, malgré son pathétique, malgré ses vicissitudes naturelles de compassion, de colère et de tristesse chez l’un, d’humilité, de fureur, d’amour et de désespoir chez l’autre; malgré les cris, les sanglots, les convulsions de femme qui le terminent, ce duo me laisse froid; il me fatigue, à l’heure qu'il est, comme s’il était une répétition du dernier; pour un empire, je ne le bisserais pas.

Le dernier acte, en revanche, ne m’est pas déplaisant. j’aime assez la mélancolie de cette maisonnette presque démeublée, dont les vitres laissent voir le jardinet couvert de neige; la résignation de Sapho, qui se prépare, n’espérant plus rien de mieux, à rejoindre son graveur; le retour charitable de Jean, et surtout la fin. Fatigué du voyage, Jean s'est endormi, peut-être un peu vite, sur le canapé où le graveur a passé la nuit. « Écris-lui qu’il ne t'attende pas, et que tu pars avec moi, » a-t-il commandé à Sapho ; et, à demi rêvant, il murmure : « Écris la lettre. — Je l’écris, » répond-elle... Mais c’est à Jean, au contraire, qu'elle destine ce dernier adieu : elle a trop aimé, la pauvre ! Elle veut, à présent, être aimée à son tour. Le prix de sa jeunesse prodiguée, elle va le demander au seul homme dont elle puisse l’attendre, au misérable, voué à la passion, qui s’est déshonoré pour elle. Un baiser sur le front de Jean, un geste au porteur qui vient chercher les malles: « Enlevez! » Et Sapho, d’un pied furtif, quitte la scène ; et la toile tombe, dans le silence, sur Jean Gaussin endormi. La simplicité de cette fin est ingénieuse, elle est élégante, elle est rare.

Les rôles accessoires de Sapho sont bien tenus par Mme Darlaud,