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Netty, Grivot, Desclauzas et par MM. Landrol, Raynard, Lagrange. M. Damala représente Gaussin : il ne semblait pas désigné pour ce personnage. Il a certainement appris quelque chose depuis le Maître de forges; il n’a d’autre ressource maintenant que d’apprendre beaucoup: ne faut-il pas à un novice plusieurs années de salle d’armes pour retrouver sur le terrain autant d’avantages qu'il en avait lorsqu'il ignorait complètement l’escrime? En revanche, Mme Jane Hading, qui fait Sapho, n’a plus qu'à oublier et à faire oublier qu'elle sait toutes les roueries de son art : elle est une comédienne parfaite, mais qui se laisse toujours voir comédienne.

M. Daudet, en somme, a remporté une difficile et honorable victoire. Il a exprimé des mœurs et des sentimens par des mots de nature et par de simples gestes, si bien que sa pièce, pour une grande partie, est comme une mosaïque de synthèses ; il a filé un drame, dont le mouvement s’accélère vers le milieu, selon une seule ligne purement tracée, à peine onduleuse : les gens qui ne goûtent rien de tout cela, j’ai peur qu'ils ne goûtent sincèrement ni les analyses longuement déduites du théâtre classique ni la simplicité de son action. Nos sentimens diffèrent des leurs. L’humanité, voilà le fonds éternel que nous aimons; qu'on l’exploite par l’analyse ou par la synthèse, nous sommes contens ; la vieille dramaturgie, en ce qu'elle a d’essentiel, demeure notre préférée : sur l’un et l’autre point, l’auteur de Sapho nous donne, après tant d’offenses que les contemporains nous ont faites, des satisfactions qu'il serait injuste de ne pas reconnaître. Et si, d’aventure, il se trompe sur l’intérêt de sa gloire, s’il s’afflige de ne pas nous entendre, avec ses plus zélés partisans, le proclamer le fondateur d’un théâtre nouveau, qu'il se console ! Ceux qu'on veut affubler de cet honneur ne le portent pas loin : une triste reprise de Marion Delorme, à la Porte-Saint-Martin, en fournit à propos la preuve. Je m’expliquerai là-dessus, prochainement, avec ce respect qu'on doit aux belles œuvres mortes.

J'ai dit que la Comédie-Française avait représenté enfin Socrate et sa Femme, de M. Théodore de Banville. Cette brève comédie en vers, légère esquisse de mœurs antiques, tableau de genre, s’entend, peint par un maître parisien, — à mi-chemin, pour l’exactitude historique, entre les dialogues de Platon ou les Mémorables de Xénophon et le Démocrite de Regnard ou la Ciguë de M. Augier, — cette précieuse petite pièce fut écrite peu d’années après la guerre de 1870, et reçue alors par le comité. Un différend sur l’interprétation, élevé entre l’administrateur général et l’auteur, l’avait fait ajourner. Elle obtient à présent un succès quasi féerique. Elle est datée par une tirade : Socrate, par la bouche de M. Coquelin, y fait l’oraison funèbre d'Henri Regnault, tué à Buzenval... Aujourd'hui que nous avons repris notre sang-froid et gardé notre état de vaincus, j’avoue que ces vaines