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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/474

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est pas plus mal trouvé ? Le chef du dernier ministère, M. Henri Brisson, a pu sans doute, dans un mouvement de fierté, n’être pas satisfait de n’avoir obtenu que quelques voix de majorité dans le vote des crédits du Tonkin et de rester à la merci des dispositions malveillantes des fractions extrêmes du parti répubicain ; il a dû avoir aussi quelque raison, inconnue et particulière, qui seule peut expliquer l’évidente mauvaise humeur avec laquelle il a quitté le pouvoir. Toujours est-il que M. Henri Brisson a cru avoir des raisons assez sérieuses pour se retirer, qu’il a été suivi dans sa retraite par quelques-uns de ses collègues, le ministre de l’intérieur, le ministre de la guerre, le ministre de la marine, et que, par un phénomène assez bizarre, quoique déjà prévu, c’est M. le ministre des affaires étrangères, c’est M. de Freycinet, qui s’est trouvé chargé de composer ou de recomposer un cabinet.

M. de Freycinet ne s’est point sans doute cru lié par les raisons qui ont décidé M. Henri Brisson à la retraite ou par de vains scrupules de solidarité ministérielle. Il a considéré que ce que n’avait pas pu le dernier président du conseil faute de souplesse de caractère, il le pourrait plus aisément avec sa liberté d’esprit, qu’il avait plus de chance de réaliser cette fameuse concentration républicaine toujours désirée, toujours fuyante, sans laquelle il n’y a pas de majorité, avec laquelle il n’y a qu’une majorité d’équivoque. M. de Freycinet est l’homme des tâches difficiles, des rajustemens ministériels, des combinaisons hybrides, des accommodemens avec l’impossible. Il n’a pas de parti-pris ; il trouve que la politique modérée est certainement la meilleure, il n’est pas éloigné de s’entendre avec la politique contraire. C’est un modéré d’instinct et d’habitudes qui, au besoin, ne se défend pas de chercher fortune dans les camps extrêmes et qui surtout ne craint pas de se contredire, au risque de se perdre quelquefois dans ses propres contradictions. Un jour, il s’est perdu pour avoir voulu atténuer dans l’exécution les décrets sur les communautés religieuses qu’il avait lui-même proposés et signés ; un autre jour, il s’est compromis pour avoir presque accordé la mairie centrale de Paris aux radicaux. Chemin faisant, au courant d’un de ses ministères, pour ménager les uns et les autres, il a laissé tomber dans l’eau le crédit de la France en Égypte. N’importe, il va toujours, il est toujours disposé à recommencer ; il a l’art de réparer ses mécomptes dans le silence. Lorsqu’on le croit effacé ou recueilli dans sa diplomatie, il se retrouve au premier appel. Il ne se fait pas longtemps prier, — et dès que M. le président de la république lui en témoignait le désir, il n’a pas demandé mieux que de montrer à M. Henri Brisson comment il fallait procéder pour opérer la concentration ; il s’est chargé de tirer de l’incohérence républicaine un ministère propre à satisfaire ceux qui ont voté les crédits du Tonkin et ceux qui ont refusé ces crédits, les opportunistes et les radicaux.