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Ce n’est point sans peine, cependant, que M. de Freycinet est arrivé cette fois à former ce ministère nouveau ou raccommodé dont il prend la présidence en gardant la direction des affaires étrangères. Il a passé près de huit jours à interroger, à négocier, à combiner des élémens, et, chose curieuse, c’est un homme d’apparence pacifique, assez facile, peu compromettant, M. Fallières, qui, sans le savoir, a failli faire échouer le nouveau président du conseil dans son entreprise, qui, un moment, a tenu tout en suspens. M. de Freycinet, qui ne doute de rien, en même temps qu’il négociait avec l’extrême gauche, avait eu l’idée, bien dangereuse, à ce qu’il paraît, de proposer à M. Fallières la succession de M. Allain-Targé au ministère de l’intérieur. Aussitôt, l’opposition s’est déclarée au camp radical contre ce futur ministre de l’intérieur, pour le moins suspect de modération ou de mollesse, et M. de Freycinet, pour tout concilier, pour se tirer d’embarras, n’a imaginé rien de mieux que d’offrir à M. Fallières, comme compensation, un autre portefeuille. Heureusement, M. Fallières a eu le bon esprit de se désintéresser de ces combinaisons, de rendre sa liberté au président du conseil en expectative, et tout s’est trouvé apaisé. La difficulté principale a disparu avec M. Fallières ! M. de Freycinet a pu librement arranger son cabinet, distribuer ses portefeuilles et faire sa concentration républicaine. À dire vrai, il n’a déployé qu’un assez médiocre génie dans ses combinaisons, il a gardé de l’ancien cabinet ce qu’il a pu : le ministre de l’instruction publique et des cultes, M. Goblet, qui poursuit ses exécutions des desservans et des vicaires de campagne, le ministre des finances, M. Sadi-Carnot ; il a fait passer un peu au hasard le ministre des postes, M. Sarrien, à l’intérieur, le ministre des travaux publics, M. Demôle, à la chancellerie. Il a mis à la marine M. le contre-amiral Aube, un marin distingué, qui n’aura rien de mieux à faire que de rester dans son rôle spécial. D’un autre côté, il a payé l’inévitable rançon à l’extrême gauche en plaçant au ministère de la guerre M. le général Boulanger, qui avait, dit-on, la puissante protection de M. Clemenceau, aux postes un autre radical, M. Granet, au ministère du commerce, doublé d’un service de l’industrie, un homme d’esprit et de gaité, M. Lockroy, qui s’entend à l’industrie autant qu’au commerce. Il paraît enfin vouloir compléter aujourd’hui ses combinaisons par un dernier coup de tactique, en envoyant comme résident général au Tonkin et dans l’Annam M. Paul Bert en personne, qui fera à Hué ce qu’il pourra, mais qui sera un embarras de moins au Palais-Bourbon. Et c’est ainsi que M. de Freycinet fait son gouvernement de concentration républicaine ! L’inconvénient de ces combinaisons, c’est que le pays n’y comprend rien, qu’il ne connaît même pas les noms de quelques-uns de ses ministres, et, ce qu’il y a de plus clair dans tous les cas, c’est