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guerre rapide et heureuse, comme il était permis de l'espérer alors, aurait eu le double avantage de réconcilier avec leur sort les populations récemment annexées et de réhabiliter par des succès les armées méridionales, si profondément humiliées du triste rôle qu'elles avaient joué pendant la campagne de 1866. En associant l'Allemagne entière à ses victoires, la Prusse eût été certaine d'obtenir le pardon pour le sang allemand qu'elle n'avait pas craint de verser. Aussi ses états-majors avaient-ils peine à comprendre le revirement si soudain qui s'était opéré dans les conseils du roi. Ce n'était pas un amour platonique de la paix qui l'avait inspiré. Si M. de Bismarck avait reculé, c'est qu'il s'était heurté contre la conscience de l'Europe, dont l'Angleterre et l'Autriche s'étaient constituées les interprètes résolues, que les cours du Midi s'étaient retranchées derrière le casus fœderis pour lui refuser leur concours, et que les alliances sur lesquelles il comptait, à la dernière heure s'étaient montrées hésitantes.

Mais les concessions faites à d'implacables exigences n'impliquaient nullement la renonciation à l'idée nationale. M. de Bismarck était le premier à reconnaître que l'occasion qu'on avait dû laisser échapper ne se présenterait plus jamais aussi favorable ; mais toujours prompt à régler sa conduite d'après les événemens, il avait modifié sa stratégie et passé de la politique violente à celle des subterfuges. C'est par des voies détournées qu'il entendait, jusqu'à nouvel ordre, poursuivre l'œuvre de l'unification, c'est par des moyens artificiels qu'il maintiendrait les populations dans le courant national, c'est par des protestations incessantes contre les ingérences étrangères qu'il étoufferait les sentimens particularistes toujours prêts à reprendre le dessus dès que s'atténuaient les craintes d'une invasion. Cette tactique n'était pas exempte de dangers; elle pouvait s'user à la longue et être déjouée par la sagesse et la prudence de ses adversaires, elle exigeait en tout cas une absence complète de scrupules et une force d'impulsion véhémente, dont le ministre prussien se flattait de posséder le secret et dont il entendait faire usage suivant les circonstances.

La veille même de son départ pour Paris, où il allait proclamer ses tendances pacifiques et se défendre d'ambitieux desseins, il signait la convention qui créait un parlement douanier. Les délégués et les députés de la Confédération du Nord et des états du Midi allaient dorénavant siéger dans un même conseil et dans une même assemblée. C'était une nouvelle et audacieuse atteinte au traité de Prague, dont nous avions arrêté les bases à Nikolsbourg[1].

  1. Extrait d'une dépêche d'Allemagne (9 juin 1867). — « La Prusse aurait reconnu aux états du Midi, après de laborieuses négociations, le droit de participer au même titre que les états de la confédération du Nord aux votes sur la législation douanière et sur l'impôt des sucres, des sels et du tabac, au moyen de délégués nommés par les gouvernemens et d'une représentation populaire élue à l'instar du parlement du Nord, d'après la loi électorale de 1848, c'est-à-dire par le suffrage universel. Il y aurait, d'après cela, un conseil fédéral douanier entièrement distinct du parlement et du conseil fédéral du Nord avec une distribution de votes analogue à celle de l'ancien plénum de la diète, pouvant siéger, à la rigueur, en dehors des sessions constitutionnelles. Si cette combinaison, qui ne brille pas par la simplicité, mais qui, pour ce motif, n'en sera peut-être que mieux accueillie en Allemagne, devait être définitivement adoptée, les partisans du régime représentatif auraient tout lieu d'être satisfaits, car au lieu d'un seul parlement, ils en compteraient trois parfaitement distincts, et rien ne les empêcherait d'être à la fois membres de ces trois assemblées. »