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devoir s'opposer un jour, les armes à la main, dans un moment inopportun peut-être, à une solution désormais inévitable.

« La Prusse s'est engagée, en effet, dans une situation qui ne lui permet plus de s'arrêter. Elle devra franchir la ligne du Main et étendre sa domination militaire, politique et commerciale de la Baltique jusqu'aux Alpes. Cela est dans la force des choses. L’Allemagne sera agitée tant qu'une satisfaction plus complète ne sera pas donnée à ses aspirations ; c'est ce que comprend le comte de Bismarck et c'est vers ce but que convergent tous ses actes et toutes ses pensées. Mais il se rend compte aussi des froissemens que l'accomplissement d'une œuvre pareille est de nature à causer à ses voisins dans leurs plus légitimes intérêts, et il peut craindre qu'après avoir méconnu ses engagemens, une coalition ne soit tentée un jour de le ramener violemment au respect des traités. C'est cette crainte qui a fait que des négociations, engagées dans un sentiment réciproque de rapprochement, au lieu d'être un gage de réconciliation, ont failli compromettre la paix. Le parti militaire tenait un prétexte ; il aurait voulu nous surprendre, alors qu'il nous savait sans défense. C'est là, nous n'en saurions douter, la cause secrète et véritable des velléités belliqueuses qui se sont si inopinément manifestées à Berlin, à l'heure où le roi des Pays-Bas nous cédait le Luxembourg.

« Il me paraît donc urgent d'aviser et de nous demander si, pour éviter une guerre de surprise, inégale, et peut-être funeste, il ne conviendrait pas de laisser l'Allemagne se constituer au gré de ses désirs, dussions-nous l'abandonner à la Prusse, même sans compensations territoriales. Ce serait, à coup sûr, une solution radicale, audacieuse, mais elle aurait du moins l'avantage d'être conforme à nos principes, d'éviter des débats irritans, haineux, et d'enlever à M. de Bismarck une arme précieuse, le prétexte des ingérences étrangères dont il se sert si utilement pour exciter les passions germaniques et les retourner contre nous. Si le gouvernement de l'Empereur devait s'arrêter aux idées que je me permets de lui soumettre, il aurait à se demander si cette concession, dont je reconnais l'énormité, nous exposerait à un danger plus grand qu'à celui qui de fait existe déjà. Je ne le pense pas. Les états du Midi ne sont-ils pas rivés à la Confédération du Nord par l'association douanière ? La Prusse n'occupe-t-elle pas Mayence ? Ne s'est-elle pas réservé le droit de garnison à Rastadt, Ulm et Landau ? Ne dispose-t-elle pas de tous les contingens militaires, en vertu de ses traités d'alliance et de ses conventions? Lui est-il permis de revenir sur ses pas, de s'en tenir aux engagemens de Prague, de renoncer en un mot au programme qu'elle a posé dans toutes ses