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laisser s'accomplir à ses frontières les plus audacieuses entreprises.

Le gouvernement de l'empereur, de son côté, ne croyait ni de son intérêt, ni de sa dignité de faciliter la tâche à la Prusse, qui avait si brutalement méconnu les services rendus. Il se flattait que son armée serait réorganisée et ses alliances assurées, en temps opportun pour entraver les projets du cabinet de Berlin et le forcer à transiger avec nos intérêts. D'ailleurs le passage de la ligne du Main n'avait rien d'imminent en présence des haines et des rancunes que les violences de la Prusse après Sadowa avaient soulevées au Nord et au Midi de l'Allemagne. Quel que fût son déplaisir et son ressentiment, l'empereur sentait que l'offensive lui était pour l'heure interdite et qu'il ne lui restait qu'à accepter provisoirement les faits accomplis. Il estimait dès lors que le parti le plus sage était de prendre pour base de sa politique allemande la paix de Prague, et d'empêcher qu'elle ne fût violée ou éludée à nos dépens. Maintenir un provisoire périlleux, sujet à d'incessantes récriminations, tel était le dernier mot d'une politique qui, en opposition avec le sentiment du pays, avait rompu avec les sages routines traditionnelles que le passé nous avait léguées.

Jamais cependant aucune occasion ne s'était offerte plus favorable à l'action de la diplomatie pour préserver l'Europe d'un choc suprême. Le sentiment dominant dans tous les pays était celui de la paix ; l'opinion n'admettait plus d'autre rivalité que celle du travail ; elle rêvait l'union des peuples par l'émulation des productions utiles, des inventions scientifiques et des œuvres d'art. On se demandait si l'empereur ne prendrait pas la direction du courant qui entraînait le monde dans des voies nouvelles, et si, par une initiative à la fois hardie et habile, comme il avait su le faire dans d'autres temps, il ne réclamerait pas le désarmement, en reconnaissant, en échange, à l'Allemagne, conformément aux principes de la politique des nationalités, consacrée par la circulaire La Valette, le droit de se constituer à l'intérieur au gré de ses aspirations.

Bien avant l'arrivée du roi de Prusse à Paris, notre diplomatie appelait l'attention du gouvernement impérial sur la nécessité de conjurer par des résolutions viriles un conflit éventuel avec l'Allemagne. « Il appartient au gouvernement de l'empereur, écrivait-on à la date du 21 mai, d'examiner si le moment de sortir des équivoques et d'aborder résolument la question allemande n'est pas venu, et s'il ne conviendrait pas de profiter de la réunion des souverains à Paris pour la régler dès à présent, à l'amiable, dans l'esprit le plus large, soit directement avec la Prusse, soit avec le concours des puissances. Ce serait le moyen de n'être pas exposé à