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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/546

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à défaire, au profit de l’Allemagne, l’œuvre de Richelieu et de Mazarin.

« La grandeur est une chose relative, disait à l’empereur un ministre clairvoyant ; un pays peut être diminué, tout en restant le même, lorsque des forces s’accumulent autour de lui. »

La force absolue de la France était restée la même, mais sa force relative s’était affaiblie. Cette vérité devenait chaque jour plus saisissante.


III

Les sombres prévisions de M. de Savigny ne s’étaient pas réalisées. M. de Bismarck n’avait pas mis la France et l’Autriche en demeure de s’expliquer sur les arrangemens intervenus à Salzbourg, l’armée prussienne n’avait pas été mobilisée. Le chancelier fédéral s’était borné à laisser à ses organes attitrés le soin de manifester son courroux ; il avait accepté avec une bonne grâce ironique les déclarations tranquillisantes que le cabinet de Vienne et le cabinet des Tuileries s’étaient empressés de lui transmettre spontanément. Son but était atteint ; il avait prouvé à l’Allemagne qu’on comptait avec lui. Sa presse était redevenue courtoise. La Correspondance provinciale se félicitait de n’avoir pas partagé les inquiétudes générales provoquées par l’entrevue des deux empereurs, qu’elle avait été cependant la première à répandre. Le comte de Goltz s’attribuait auprès de la cour des Tuileries le mérite de ce revirement. Il regrettait qu’à Berlin on eût pris les choses au tragique, il estimait qu’il était plus habile de conjurer les coalitions par de bons procédés que de les provoquer et de les précipiter par les violences. M. de Goltz se donnait à nos yeux le mérite de la sagesse et de la modération au détriment de son ministre.

Les grands politiques ont souvent sous leurs ordres des agens jaloux, dénigrans, qui se plaisent à les desservir et, lorsque ces agens sont couverts par la reconnaissance du souverain, il faut renoncer à les briser en les déshonorant. Le comte de Goltz avait de puissantes attaches à la cour de Prusse ; à l’heure où son roi jouait les destinées de la monarchie sur les champs de bataille, il lui avait rendu des services qu’on n’oublie pas ; il avait su paralyser la France pendant la guerre de Bohême, et par son astuce arracher à Napoléon III, sans rien sacrifier, des cessions territoriales inespérées[1]. Il était à l’abri des ressentimens. L’œuvre du comte de Bismarck était d’ailleurs, dans les cercles de la cour, l’objet de

  1. La Politique française en 1866, p. 270. — Le Comte de Goltz et son action à Paris.