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de l’Ile-de-France. Je devais m’attendre à y trouver une croisière ennemie : aussi pris-je mes mesures pour n’atterrir que de nuit. Mes instructions me prescrivaient de me rendre à la Rivière-Noire, qui est sous le vent de l’île. J’y allais à contre-cœur et par pure obéissance, car c’est un point d’atterrage fort dangereux lorsqu’une force ennemie tient la mer. Après avoir reconnu les terres des environs du Grand-Port, je filai, bien à regret, le long de la côte, pour me rendre à la destination qui m’était assignée. Il était une heure du matin : je me promenais sur le gaillard, ma longue-vue de nuit à la main, causant en latin avec Marshall, lorsque le docteur me fit remarquer un point noir qui grossissait à vue d’œil. Je donnai un coup de longue-vue et je reconnus une frégate anglaise qui venait à contre-bord, tous les ris pris. Je n’eus que le temps de manœuvrer à la hâte et de changer de route dans le plus grand silence. La frégate passa derrière nous sans nous voir. Tout le monde apparemment dormait à bord. Je gagnai au plus vite la côte, et me considérant comme dispensé, par le danger que je venais de courir, de suivre mes instructions à la lettre, je louvoyai pour gagner le Grand-Port, où j’entrai le lendemain avant midi.

« Quelques semaines plus tard arriva la Sémillante, revenant de croisière. Elle avait trouvé le Port-Louis bloqué et s’était vue forcée de se réfugier, comme nous, au Grand-Port. Le capitaine Motard m’accueillit avec une extrême bienveillance. Je me liai avec la plupart des officiers de son état-major, particulièrement avec Roussin. Nous restâmes deux mois au Grand-Port, retenus tantôt par la présence de forces ennemies supérieures, tantôt par les vents contraires qui rendent la sortie très difficile et très dangereuse. A la fin de novembre, nous réussîmes à gagner le Port-Louis. J’y désarmai le Famé, qui fut mis en vente et trouva promptement des acquéreurs, car c’était un des plus beaux navires qu’on pût voir. Mon brave Pendrey fut envoyé au dépôt des prisonniers anglais, à la Grande-Rivière. J’eus soin qu’il n’y manquât de rien jusqu’au moment où il fut échangé. Quant au docteur Marshall, j’obtins qu’il fût renvoyé, à bord d’un navire neutre, sur parole.

« Au mois de janvier 1807, je pas me rendre au désir que m’avaient exprimé le capitaine Motard et son état-major. Je passai sur la Sémillante, laissant mon bon ami Moreau sur la Piémontaise. Au mois de février, la Sémillante, réparée et ravitaillée, était de nouveau prête à prendre la mer. Nous entrions dans la saison de l’hivernage ; les indices précurseurs d’un ouragan nous conseillaient de rester au port. Tout à coup, à minuit, nous arrive l’ordre de mettre sous voiles dès le point du jour. Nous obéissons : à onze heures du soir, nous avions perdu tous nos mâts, non sans avoir couru le risque de sombrer par la violence du vent et de la mer. Une