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tout espoir. La Convention, encore sous le coup du magnifique discours de Vergniaud, semblait ébranlée, prête à lâcher sa proie. Aux Jacobins, la veille, on en avait poussé des rugissemens de colère. Qui va porter à la tribune leur sommation ? Qui s’est chargé de faire enregistrer leur décret souverain ? Qui va donner le coup de grâce à la victime ? Dubois Crancé se présente, négligemment vêtu comme à son habitude, depuis que la mode est au bonnet phrygien, le cou découvert comme l’a peint son ami David, l’œil en feu, l’air tragique, et d’une voix stridente :

« J’ai entendu, hier, s’écrie-t-il, un député qui disait que cinq cents membres de la Convention étaient décidés pour l’appel au peuple. Je viens combattre ce système parricide de toutes mes forces… Si je ne puis porter la conviction dans le cœur de mes collègues, du moins je ne serai pas responsable d’un crime de lèse-nation. » A cet exorde enflammé succède une discussion de droit, ou plutôt une série de sophismes semblables à ceux qu’avaient déjà développés Robespierre et Saint-Just. On demande un accusateur public, mais le peuple ne l’a-t-il pas été d’abord au 10 août en emprisonnant le tyran, puis en nommant la Convention ? Ne l’a-t-il pas chargée du soin de sa vengeance ? Que veut-on de plus ? Lui renvoyer le jugement pour lequel il a nommé des mandataires serait lui conférer, contrairement à tous les principes, la double qualité d’accusateur et de juge. Au point de vue constitutionnel, le danger serait le même. C’est du peuple que doivent émaner tous les pouvoirs, non de la Convention. Or, en se dessaisissant, la Convention sortirait de son rôle et manquerait à sa fonction ; elle ferait du souverain son délégué.

Voilà pour le droit : voici maintenant, — je cite ici textuellement, — pour le sentiment et pour l’effet : « Et c’est au profit d’un homme reconnu coupable de haute trahison que vous allez mettre aux prises les passions les plus irritées, les plus dévorantes dans toute l’étendue de la France ! Doutez-vous qu’il existera des oppositions d’homme à homme, d’assemblée primaire à une autre, de district à district, de département à département, et si le sang coule dans une seule section du peuple, ce sang ne rejaillira-t-il pas sur vos têtes ? ..

« On a cité Cromwell, le jugement de Charles Ier et le regret du peuple anglais. Cependant, il n’est peut-être pas hors de propos d’observer que, malgré l’atrocité des motifs qui portèrent Charles à l’échafaud, le gouvernement français fut le premier à reconnaître la légitimité des droits du peuple anglais.

« Unissons-nous pour renverser tous les obstacles qui s’opposent à la volonté générale, faisons une constitution et laissons au monde un grand exemple. Disons au peuple : Un homme avait abusé de l’ancien pouvoir que la loi lui confiait, vous l’avez enchaîné, vous