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but ; il s’agit pour elle de jouer un rôle politique ; et les imprudences de sa coquetterie s’expliquent et s’excusent par l’ardeur et la vivacité de sa jeune ambition.

Il eût convenu d’autant plus à M. de Baillon de le dire et de le faire bien voir que l’objet qu’il s’est surtout proposé dans ce livre, c’est de mettre en lumière le rôle considérable et assez mal connu que Madame a joué dans la politique des premières années du règne. Car on savait bien que Madame avait en part aux délicates négociations d’où sortit enfin le traité de Douvres, mais, pour imiter sans doute la réserve de Bossuet, et ne pas s’entendre accuser « d’arranger suivant leurs idées les conseils des rois, » les historiens n’avaient étudié de très près ni ces conseils eux-mêmes, ni ces négociations, ni l’influence de Madame. M. de Baillon, pour le faire, s’est aidé de la correspondance même de Madame et de Charles II, conservée partie aux Affaires Étrangères, partie au Record Office, et dont on n’avait jusqu’à lui publié que peu et d’assez courts extraits. Nous y voyons Madame, usant de l’affection que lui porte son frère, s’ingérer doucement dans les affaires, s’essayer, dès son mariage, au rôle d’intermédiaire entre la France et l’Angleterre, par-dessus les ambassadeurs, qu’elle gêne d’autant plus qu’à peine soupçonnent-ils son influence occulte ; traiter des questions importantes, comme celle du salut que la marine britannique exige des autres pavillons ; et enfin obtenir, vers la fin de l’année 1662, une lettre qui vraiment l’accrédite auprès de Louis XIV « dans l’intérêt, dit Charles II, de l’union intime des deux couronnes, dont il veut faire désormais la base de sa politique. » Il s’agissait, en ce temps-là même, de la grosse affaire de la cession de Dunkerque à la France, et l’on juge, à ces mots, de la part que Madame y put prendre. En 1666, c’est encore Madame qui sert d’intermédiaire entre Louis XIV et Charles II dans les négociations qui préparent le traité de Breda ; c’est elle encore, trois ans plus tard, en 1669, qui réussit à détacher son frère de la Triple Alliance, et c’est elle enfin qui, dans ce voyage triomphal d’Angleterre, après deux ans de pourparlers, en 1670, un mois à peine avant de mourir, emporte la conclusion de ce traité de Douvres qui va permettre à Louis XIV, assuré désormais, du côté de l’Angleterre, d’entreprendre la guerre de Hollande et de conquérir à la France la Flandre et la Franche-Comté. Si quelqu’un peut regretter l’intervention de la princesse dans les affaires d’état, on conviendra sans doute que ce n’est pas sa patrie d’adoption. Française et très Française, la mémoire de Madame devrait encore nous demeurer respectée quand sa mort soudaine, à vingt-six ans, ne nous la rendrait pas tragique, et l’Oraison funèbre de Bossuet éternellement touchante. C’est à la fois l’intérêt et la nouveauté du livre de M. de Baillon que l’avoir établi les titres de Madame à la reconnaissance de l’histoire ; il est d’ailleurs facilement et agréablement écrit.