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desservans pour le bon plaisir des radicaux. M. le président du conseil n’en est pas à une concession près, il n’a pas ménagé les promesses et les gages, il a fait ce qu’il a pu pour gagner ses alliés. A-t-il du moins réussi à s’assurer le prix de ses dangereuses complaisances ? A la première occasion, il a pu voir ce qu’il avait à attendre de ses conquêtes dans le camp radical, de ses nouveaux alliés de l’extrême gauche, ce que valaient ses appels à la conciliation.

Cette occasion n’a pas tardé. Le ministère avait cru se débarrasser de cette question importune de l’amnistie en prenant l’initiative de quelques actes de clémence, en accordant des grâces à un certain nombre de condamnés plus ou moins politiques de ces dernières années. C’était comme un don de joyeux avènement de la nouvelle présidence, et le ministère pouvait se figurer en avoir fini, avoir payé sa dette avec des grâces. Pas du tout, l’amnistie n’a pas moins reparu aussitôt comme si rien n’était. M. Henri Rochefort, qui n’est pas facile à décourager et qui ne reste pas longtemps ministériel, même avec un cabinet qu’il a salué de ses complimens peut-être un peu ironiques, M. Rochefort ne s’est pas tenu pour satisfait. Il a voulu son amnistie, une amnistie générale, étendue à tous les condamnés pour des crimes ou des délits plus ou moins politiques, même à des Arabes qui sont encore à la Nouvelle-Calédonie pour une ancienne insurrection, — et, ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’il a réussi à obtenir un vote d’urgence pour sa proposition. Combien le ministère a-t-il gardé de ses amis les radicaux dans ce singulier scrutin ? A peine deux ou trois, deux qui sont ministres, un qui est sous-secrétaire d’état. Tous les autres se sont hâtés de voter l’urgence, en dépit des efforts et des adjurations de M. le ministre de l’instruction publique et des cultes, qui, à la vérité, n’a été ni habile ni heureux dans ses argumens. M. Goblet aurait pu se borner à combattre l’amnistie, à montrer ce qu’il y avait de puéril à mettre en jeu la puissance législative pour quelques condamnés, ce qu’il pouvait y avoir aussi de dangereux à annuler périodiquement l’action des lois et de la justice ; il aurait pu même invoquer des raisons d’un ordre extérieur. Il ne s’en est pas tenu là ; il a cru intéresser l’extrême gauche à sa cause en flattant ses passions de parti, en montrant qu’une amnistie qui s’étendrait aux délits électoraux allait affaiblir l’autorité des invalidations prononcées par la chambre et avoir peut-être une mauvaise influence sur les prochaines élections partielles. Il n’a réussi qu’à provoquer inutilement la droite, qui a réclamé alors l’amnistie la plus large, même en faveur des malheureux desservans frappés par M. le ministre des cultes, et qui, par son intervention, a décidé le vote de l’urgence. Tout cela est assez désordonné, nous en convenons, et ce n’est là, vraisemblablement, si l’on veut, qu’un succès momentané pour l’amnistie proposée par M. Henri Rochefort au nom de l’extrême gauche. La commission