Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

luisantes, étendent leurs bras et prodiguent leur ombre aux jolies cabanes-paniers éparpillées sur le gazon. Pour faire circuler l’air dans les habitations, on a soulevé les nattes des piliers qui servent de parois et de rideaux. Ces intérieurs n’ont donc pas de secrets pour nous. Mais toute la population est dehors. Fort peu d’hommes, parmi eux quelques beaux garçons. En revanche, un grand nombre de jeunes filles ; elles se sauvent avec un air effaré qui ne me paraît pas naturel ; les jeunes femmes, loin de s’enfuir, viennent à nous en riant. Il y a aussi des matrones entre deux âges d’une corpulence considérable et des vieilles femmes aux contours impossibles. Mais tout ce monde rit et semble enchanté de nous voir. Ce qui me frappe dans cette foule de femmes et d’enfans qui s’attachent à nos pas, c'est le grand nombre de chevelures blondes tirant sur le roux.

Les deux édifices principaux sont l’église et le palais du gouverneur. l’église se distingue par une toiture colossale, et le government house par les carreaux de ses fenêtres. Car, sachez-le bien, ces îles, que sa majesté George Ier, il y a environ trente ans, s’est pacifiquement annexées, possèdent un gouverneur, un magistrat, un juge et des agens de police. Ces derniers se font une fête de rapporter régulièrement aux traders leurs cochons de lait, régulièrement volés par des chevaliers d’industrie, qui abondent dans cette capitale.

Dans une hutte, une femme, accroupie devant un tronc d’arbre qui lui sert de métier, frappe avec un marteau sur l’écorce d’un certain arbre. C'est leur manière de faire l’étoffe de leurs pagnes. Une jeune fille, blottie à côté d’elle, applique des taches noires sur l'écorce et produit ainsi un dessin fort original. Elle déroule devant nous sur le gazon un tapis de ce genre, de 14 pieds de large sur 120 de long.

Mais le soleil baisse, et il est temps de quitter ces îles enchanteresses jetées au milieu de l’océan. Les navigateurs les évitent, parce que l’accès en est difficile, et par conséquent elles sont très rarement visitées. Depuis quatre ans, aucun bâtiment de guerre anglais n'y a montré son pavillon. Nous avions eu bien de la peine pour y arriver; mais, guidés par le même pilote, nous glissons sans incident sur les haut-fonds de la lagune et arrivons à bord de l’Espiègle avant la nuit.


19 juin. — Devant nous se dressent les hautes montagnes arides de Savaï[1]. A notre droite, vers l’est, une chaîne de collines d’un

  1. s’élevant jusqu'à 6,000 pieds.