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Le 14 juillet, au matin, le comte de Las Cases et le général Lallemand se rendent, par ordre de l’empereur, à bord du Bellérophon, pour y traiter avec le capitaine Maitland d’un embarquement qui devait être le salut et qui fut le prélude de la captivité la plus dure.

La France appartenait encore une fois aux Bourbons. Si les gouvernemens comprenaient tout le prix de la fidélité, ils honoreraient et récompenseraient les fidèles, ne fût-ce que pour l’exemple : le capitaine Baudin fut placé en non-activité. Il avait déclaré que, fort de sa conscience, il ne pourrait accepter aucune marque de mécontentement. On le blâmait : il demanda sa mise à la retraite. A différentes reprises, le gouvernement de la Restauration fit engager l’ancien commandant de la Bayadère à reprendre du service ; Baudin persista dans son refus. En 1830, croyant ramener le roi de Rome aux Tuileries, le peuple de Paris prend les armes ; trois jours lui suffisent pour renverser du trône la plus vieille dynastie de l’Europe — et ajoutons-le, car ce n’est que justice, — la plus libérale. Des complications extérieures semblaient imminentes : le capitaine de frégate retraité rentra dans la marine avec son ancien grade. Appelé presque aussitôt à prendre le commandement de la corvette de trente-deux canons l’Héroïne, Baudin ne tarda pas à montrer que quinze années de relâche ne lui avaient pas fait oublier son métier. Il est vrai que, de ces quinze années, quatre s’étaient passés entre le golfe du Bengale et le Havre, à commander deux navires de commerce, le trois-mâts la Félicie et le brick le Télégraphe. Le 6 janvier 1834, le commandant de l’Héroïne était nommé capitaine de vaisseau. Je me trouvais alors dans le Levant embarqué avec le capitaine Lalande sur le vaisseau la Ville-de-Marseille : on y parlait beaucoup de l’escadre d’évolutions rassemblée aux îles d’Hyères sous les or ires du contre-amiral Massieu de Clerval. Dans cette escadre un vaisseau se faisait remarquer par son excellente tenue, par le soin que ses officiers mettaient à le maintenir, dans toutes les évolutions, à son poste. Ce vaisseau était le Triton, commandé par le capitaine Baudin. Quand on manœuvre sous les yeux d’une centaine d’officiers et d’aspirans, sans compter les yeux des envieux, on gagne pour ainsi dire en champ clos sa réputation. Du 7 avril 1834 au 11 mars 1836, le rentrant subit à sa gloire la délicate épreuve : la marine du gouvernement de juillet n’hésita plus à mettre ses plus chères espérances dans cette épave de la marine de 1812.

Après le commandement du Triton, vint le commandement du Suffren, un énorme vaisseau de quatre-vingt-dix canons, type nouveau destiné à remplacer les constructions de M. Sané. On prétend qu’Épaminondas, chargé de faire balayer les rues de Thèbes, ne trouva pas l’office au-dessous de sa dignité : le capitaine Baudin,