des Apparitions continue d’agir, et les deux dernières nuits que j’ai passées au Japon m’apparaissent précipitamment.
Déjà, en effet, le soleil a disparu derrière les bois de bambous qui couvrent les collines dont Kioto est enserrée, et un jour pâle, d’une teinte indéfinissable, un peu triste et indécis comme certains souvenirs, enveloppe l’ancienne capitale des mikados.
Dans cette pénombre douteuse, le grand temple de Nishi-Hong-wanji, sanctuaire principal de Bouddha au Japon, produit une impression profonde de mysticisme et de poésie religieuse. L’intérieur est tout entier revêtu de panneaux en laque d’or adouci, qui, à cette heure, prennent des tons plus doux, plus effacés encore et comme attiédis. Le Bouddha, accroupi au fond sur son lit de lotus, vaguement éclairé par de colossales lanternes en bronze ciselé, a une expression mystérieuse, et les reflets de tout ce qui l’entoure le baignent d’une légère vapeur d’or. Le monastère adjoint au temple est paré avec la même magnificence sobre, et le clair-obscur y produit les mêmes effets de recueillement et de mystère.
Ces fonds d’or rappellent ceux des écoles primitives de la peinture italienne ou allemande ; mais il n’est pas de fresque de Cimabuë ou de triptyque du maître de Hyversberg qui exhale un parfum plus pénétrant de mysticité et d’onction extatique que ce sanctuaire bouddhique, et, seul, Rembrandt, lorsqu’il peignit son Philosophe en méditation, eût pu rendre les vibrations de cette atmosphère chaude et ambrée au milieu des ombres du soir. Sur ces laques précieuses, l’art japonais a cependant fortement imprimé sa griffe, son caractère principal, qui à défaut d’autres le distinguerait des écoles mystiques, c’est-à-dire son amour de la vie, sa préoccupation d’en donner une expression vibrante, de la reproduire passionnément. Un grand paon admirablement éployé s’étale sur un camélia blanc, et l’œil de l’oiseau est plein d’éclat, l’or de son col a des reflets bleuâtres de lapis-lazuli ; sa queue, largement ouverte en éventail forme la plus brillante palette de couleur, la plus harmonieuse fusion de tons juxtaposés et miroitans qu’un œil de peintre puisse rêver.
Et partout sur les murs, des lotus de laque exubérans de vie végétale, épanouissant leurs calices d’or, semblent la production puissante d’une terre tropicale.
Dans un coin cependant, un bonze en prières, oubliant l’heure tardive, murmure ses litanies bouddhiques dans une immobilité hiératique, et son crâne chauve, son attitude impassible et réfléchie, toute l’expression de sa personne morale font songer au portrait d’Erasme, du pinceau d’Holbein.
Lorsque je sors du temple, de grandes ombres couvrent déjà la