Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/864

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si la propriété en France est divisée, quoique guère plus que dans divers autres pays voisins, elle se trouve aussi très dispersée. Il ne faut pas confondre les cotes avec les parcelles cadastrales ; les premières contiennent souvent les secondes par dizaines. Sauf dans les districts écartés et sans industrie, il est peu de domaines qui soient d’un seul tenant. Cet état de choses date de loin : on s’en plaignait déjà au XVIIIe siècle, même au XVIIe. Ce genre particulier de morcellement, qui sans multiplier les propriétaires multiplie les fractions du territoire, s’accentue de plus en plus. Il se trouvait 124 à 125 millions de parcelles quand fut fait le cadastre, l’on estime que le nombre s’en est accru d’une vingtaine de millions depuis lors, ce qui porterait le nombre des parcelles à 145 millions et leur étendue moyenne à 33 ou 34 ares ; mais ici les moyennes sont trompeuses, parce que les 9 millions de maisons, les petits jardins et vergers des banlieues de villes ou de villages, les chantiers, magasins et constructions de toute nature ont pour la plupart quelques ares seulement de superficie. Il ne faudrait pas croire, en outre, que les 145 millions de parcelles fussent toutes enchevêtrées les unes dans les autres. La définition erronée du mot dans le Dictionnaire de l’Académie et dans celui de Littré répandrait cette erreur. Il est curieux que les lexicographes n’aient pas pris la précaution de consulter un spécialiste avant de définir la parcelle. L’Académie commet une hérésie quand elle écrit : « Parcelle, en terme de cadastre, se dit de chaque petite portion de terre séparée des terres voisines et appartenant à un propriétaire différent. » Et Littré, qui a fait partie de nos chambres lorsque l’on y parlait sans cesse de la révision du cadastre, répète cette définition irréfléchie. Ainsi, d’après ces auteurs, toutes les parcelles que possède un même propriétaire seraient séparées les unes des autres. Il n’en est rien dans les neuf dixièmes des cas : la parcelle est « une portion de terrain, située dans un même canton, triage ou lieu dit, présentant une même nature de culture et appartenant à un même propriétaire. » 11 en résulte que la différence des cultures ou les clôtures, sinon actuellement, du moins lors du cadastre, suffisaient pour constituer des parcelles. Aussi ce mot n’indique-t-il aucunement une discontinuité dans la propriété du sol, et il n’est pas rare de voir un domaine constitué de 20 ou 30 parcelles, de 100 même, qui se tiennent les unes aux autres.

Il arrive souvent aussi qu’un certain nombre de parcelles sont disséminées, et c’est, en général, un mal. Il ne s’est guère trouvé qu’un écrivain compétent, M. Hippolyte Passy, pour expliquer et approuver en certains cas la dispersion des parcelles appartenant à un même propriétaire. Pour les paysans des villages, dit-il, c’est