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parfois un avantage : chacun possède ainsi un peu des différens sols et des différentes expositions de sa commune ; chacun peut avoir son potager, sa vigne, sa prairie, son bois. Quoique ingénieuse, cette justification de la dispersion parcellaire ne peut être qu’exceptionnellement vraie. D’une manière générale, la dissémination et l’enchevêtrement des parcelles sont l’un des maux dont souffre la petite et quelquefois la moyenne propriété en France. Il ne faut pas, d’ailleurs, s’exagérer ce mal, il ne sévit que sur une partie restreinte du territoire. Faut-il, pour le faire disparaître, recourir à des remaniemens collectifs qui ont été rendus obligatoires dans plusieurs pays étrangers, notamment en Allemagne, et qui, pour réunir les exploitations, imposent aux propriétaires l’échange d’une partie de leurs parcelles contre celles du voisin ? M. de Foville déconseille de recourir à cette extrémité, et nous l’approuvons fort de sa circonspection. Pour obtenir un avantage économique, qui est certain, mais limité, on s’expose à un mal infiniment plus grand, celui d’affaiblir le sentiment et l’amour de la propriété. Le principe de la propriété personnelle est attaqué par trop d’ennemis pour que nous souffrions qu’on lui porte une atteinte quelconque. Que l’on rende les échanges de parcelles presque gratuits, comme l’a fait chez nous la loi du 3 novembre 1884 et comme le propose, en Belgique, un projet analogue, l’on obtiendra avec le temps des résultats qui ne seront, sans doute, pas aussi complets que ceux des remaniemens collectifs obligatoires, mais qui auront l’avantage inappréciable d’être exempts de toute tache de brutalité et de violence.

Nous n’entrerons pas dans plus de détails sur l’œuvre magistrale de M. de Foville. L’auteur s’y montre constamment libéral, ennemi de l’intrusion de l’état ; on sait que la France reste aujourd’hui, en Europe, l’unique pays où fleurit encore l’école économique libérale, la seule, en définitive, qui puisse se réclamer de la science et de l’expérience. Il défend avec succès la petite propriété ; il montre que, contrairement aux assertions d’étourdis, parmi lesquels se trouve le grand romancier Balzac, elle ne fait pas disparaître le bétail, et qu’au contraire elle l’a accru. Il prouve que notre législation successorale n’est pas le facteur principal du morcellement. On pourrait, si l’on veut, élargir la quotité disponible, comme le demandait M. Le Play, nous n’y verrions, quant à nous, aucun mal ; on devrait surtout supprimer l’article 826 du code autorisant chaque cohéritier à « demander sa part en nature des meubles et immeubles de la succession. » Mais, qu’on ne s’y trompe pas, à part quelques périodes de malaise, comme celle que nous traversons depuis quatre ou cinq ans, la petite propriété continuera à se développer, à mordre et à dépecer la grande. Cela est dans la