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l’autre côté, par de solides retranchemens. Plus de journaux ni de nouvelles du monde extérieur, plus de steamers allant et venant sur le fleuve, plus de trains aux stations du chemin de fer : partout le silence et l’inaction. La farine atteignait 200 dollars le baril ; le blé, 10 dollars le boisseau ; le lard, 5 dollars la livre ; le rhum, 100 dollars le gallon ; et le reste à l’avenant. A trois heures de la nuit, le silence dans les rues était si complet que c’est à peine si l’on entendait le pas cadencé des sentinelles dans le lointain. Puis, tout à coup, la terre tremble sous les coups répétés de l’artillerie ; en une seconde tout le ciel est sillonné des rouges éclairs des bombes, qui s’entre-croisent en tous sens. Une pluie de fer et de feu s’abat sur la ville endormie, sur les rues, qui s’emplissent subitement d’une foule effarée. Tous se sauvent en courant vers les caves-abris, poursuivis par les lazzi des soldats, qui leur crient en riant : « A vos trous, les rats ! » — Pendant quatre ou cinq heures, ou même six, l’ouragan meurtrier continue, puis, aussi brusquement qu’il avait commencé, il cesse, et dans les rues vides, le silence se rétablit. Alors ça et là une tête anxieuse sort d’une cave, regarde avec soin en tous sens. Le calme continuant, le corps suit la tête, et de tous côtés on voit surgir de malheureuses créatures épuisées, à moitié étouffées, qui s’étirent, échangent quelques mots avec leurs voisins, et rentrent chez eux, en attendant que le bombardement vienne les en chasser encore une fois. — De toutes les villes riveraines du fleuve, Vicksburg fut celle qui résista le plus longtemps ; elle connut les plus tristes éventualités de la guerre, y compris l’assaut et la famine.

Aujourd’hui, la citadelle disparaît chaque jour devant la cité commerciale. Vicksburg est un centre important qui a le monopole des affaires dans les vallées du Yazou et de la Sunflower et d’où rayonnent un grand nombre de railways. On peut, si l’étroitesse de vues de ses citoyens ne vient pas retarder ses progrès, lui prédire un avenir prospère.

Nous dépassons ensuite Arkansas City, petit bourg malsain né d’un contact regrettable entre le fleuve et la ligne de chemin de fer du Texas. La ville d’Helena, mieux située, portait encore les marques de la dernière inondation, pendant laquelle le fleuve avait déposé dans ses rues une épaisse couche de boue. Une inondation du grand fleuve est presque aussi désastreuse qu’un incendie général. Le navire s’arrêtait deux heures à Helena pour décharger du fret. C’était un dimanche, et la population de couleur, de beaucoup la plus nombreuse, remplissait les rues d’étoffes voyantes, et la gaîté contrastait singulièrement avec la boue pestilente et les mares mal desséchées qu’on rencontrait à chaque pas. Helena est la