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que des communautés. Ils s’en prennent donc à la communauté des blancs, c'est-à-dire à ceux qui ont en commun le teint blanc de leur peau. Mais les recruteurs, en enlevant des jeunes gens malgré l’opposition du chef de tribu ou de la communauté, ne commettent aucune infraction aux actes de 1872 et 1875; car ces actes ne demandent que le consentement individuel de l’indigène, his own consentment. Ils sont donc restés dans les limites de la loi anglaise, mais ils ont violé une des lois ou, si on veut, une des coutumes les plus sacrées des insulaires, et ont donné lieu le plus souvent, à titre de représailles, au meurtre d’un ou de plusieurs blancs.

Ce qui précède est officiellement constaté par le rapport de la commission d’enquête plusieurs fois citée. Je dois ajouter que tous les blancs que j’ai rencontrés dans mon voyage ont confirmé, les uns (fort peu à la vérité) avec indignation, d’autres en riant, le fait que la plupart des travailleurs sont livrés aux recruteurs par les chefs, moyennant un prix convenu d’avance. Dans les îles Salomon, on a lieu de croire que les chefs, en reconnaissance d’un beau cadeau, envoient leurs esclaves ou les membres de leur tribu à la plage, où le recruteur s’en empare pour les transporter à bord.

Il a été dit que ceux qui se procurent des travailleurs sont tenus par la loi de rapatrier ces hommes à la fin de leur engagement. Or il arrive constamment que l’on met une coupable négligence à remplir cet engagement. Si on les débarque dans une localité qui n’est pas la leur, ils sont souvent, et même habituellement, mis à mort par les sauvages ; c'est le rapport de sir Arthur Gordon et consorts qui le dit.

En Australie, on a l’habitude de passer légèrement sur toutes ces irrégularités. On aimerait encore mieux ne pas s’en apercevoir. Il n'en est pas moins certain que pendant la « saison de travail, » qui va de mai à septembre, où les recruteurs arrivent pour faire leurs opérations, ces îles sont fréquemment le théâtre d’actes de violence que l’on dérobe autant que possible à la connaissance du public. Au Queensland, le besoin de travailleurs est si impérieux que les autorités semblent obligées, et dans tous les cas sont accusées, peut-être à tort, de fermer les yeux sur les infractions à la loi commises par les capitaines recruteurs et sur les complaisances des agens du gouvernement chargés de la surveillance du patron. De leur côté, les indigènes de la Mélanésie s’embusquent, attaquent et tuent toutes les fois qu'ils le peuvent les équipages des bateaux que le patron envoie à terre.

« Tuer un blanc, dit le capitaine Moor[1], est un haut fait aux

  1. Rapport du capitaine Moor du Dart de sa majesté Britannique au commodore Erskine Sydney, 7 novembre 1883.