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Théra, de Rhodes, de Cypre, de Tirynthe et de cent autres sites méditerranéens soient d’origine phénicienne. Le plus qu’on en puisse conclure, c’est que le commerce phénicien était fort étendu et que la Phénicie avait de grandes fabriques de poterie. Mais de la présence de ces vases sur tant de points conclure que les Phéniciens ont occupé tous ces pays et qu’ils y ont construit les forteresses dites cyclopéennes, c’est conclure sans preuve et franchir un abîme ; car c’est un principe de critique en ces matières, que des objets mobiliers on ne peut passer aux constructions et d’un commerce local déduire la possession de la contrée. On doit pousser le doute encore plus loin : les Phéniciens auraient par exemple occupé la Sicile et y auraient bâti une forteresse dans le genre cyclopéen, en déduira-t-on qu’ils ont bâti toutes les forteresses du même genre? Ce raisonnement du particulier au général est inadmissible ; il rappelle ce voyageur qui, ayant été mordu d’un chien sur les bords de l’Ilissus, en concluait que l’Ilissus est tout infesté de chiens et qu’il n’y faut pas aller ; en réalité, l’Ilissus est garni de lauriers-roses et de fleurs.

Il est donc probable que, même après les heureuses fouilles de ces deux dernières années, Tirynthe continuera d’être tenu pour une forteresse pélasgique et les Phéniciens pour des marchands colporteurs, non pour des constructeurs de forteresses. Il faudra bien tôt ou tard que les hypothèses hasardées, qui alternent comme les saisons, soient enfin soumises à l’examen de savans à la fois archéologues et linguistes, versés également dans la connaissance des langues sémitiques, des langues aryennes et des choses de l’Egypte. Ils pourront donner le vrai sens des mythes et des légendes et rendre à chaque race d’hommes, à chaque peuple, ce qui lui appartient légitimement dans le passé. Alors ces savans feront œuvre de science. Mais tant qu’on ne regardera qu’un côté. des choses, on courra le plus grand risque de se tromper par exclusion. Nous pouvons déjà dire, à l’encontre de ceux qu’on nomme « sémitisans, » que presque tous les mythes et les légendes des pays grecs sont d’origine aryenne et s’expliquent par les langues, les mythes et les légendes de la race aryenne. On affronte les plus grandes chances d’erreur si l’on s’écarte de ce principe. Encore faut-il que les « aryanisans » prennent la peine de tirer parti de leur savoir et appliquent la linguistique à la mythologie, comme on a appliqué l’algèbre à la géométrie pour le plus grand bénéfice de toutes les sciences.

Pour toutes ces raisons, beaucoup d’assertions émises dans le livre de Tirynthe sont ou contestables ou tout à fait inadmissibles. Le principal auteur n’en a pas moins fait nue œuvre aussi louable que les précédentes. Ses collaborateurs et sans doute aussi lui-même