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ont cru rendre à la lumière un palais homérique comme celui d’Alcinoos ; ils en ont été si persuadés qu’ils l’ont annoncé dans le titre même de leur ouvrage. L’interprétation est toujours libre tant que la démonstration n’est pas faite, et nous croyons qu’ils se sont trompés, qu’il n’y a pas là une demeure princière, mais un groupe de constructions afférentes au culte héroïque d’Hercule. Pour nous, le mythe servant de base à ce culte est solaire ; les princes tirynthiens et les cyclopes appartiennent à la mythologie. De plus, le mythe argien d’Hercule est étranger aux religions sémitiques. Ni la forteresse, ni les édifices intérieurs ne sont l’œuvre des Phéniciens ; nous croyons avec l’antiquité que les murs ont été élevés par les Pélasges et que les autres constructions l’ont été soit par les Pélasges, soit même par les Hellènes. Nous n’affirmons rien néanmoins et nous nous tenons sur la réserve jusqu’à ce que ces difficiles problèmes soient méthodiquement élucidés.

Mais nous louons sans réserve M. Schliemann, non seulement de ce qu’il continue chaque année de consacrer à ces recherches coûteuses une partie de ses revenus, mais de ce qu’il a soin d’en publier les résultats dans d’excellentes conditions typographiques. Sa passion avouée pour Homère l’a conduit à porter ses efforts sur les villes que les lettres et les arts de la Grèce ont le plus illustrées. Troie et Mycènes sont les points culminans de l’épopée antique ; on ne les connaissait pas, on les supposait tout autres qu’elles n’étaient en réalité. Aujourd’hui on les connaît. À Mycènes, on a même retrouvé dans leurs tombeaux toute une famille de princes et de princesses avec leurs armes, leurs diadèmes et leurs parures. Les fouilles de Tirynthe étaient un complément naturel de celles de Mycènes ; elles ont résolu certains problèmes d’architecture primitive ; elles ont mis l’Argolide en rapport avec plusieurs autres points de l’ancien monde, notamment avec les îles de l’Archipel et, par elles, avec l’orient de la Méditerranée. Elles ont établi par une preuve nouvelle que l’âge appelé héroïque est celui que, dans une autre branche d’études, on appelle l’âge du bronze. Réunies à d’autres fouilles, exécutées ailleurs et sans le concours de M. Schliemann, elles permettent de penser que cet âge, fort ancien en Égypte, a duré en Grèce jusqu’à l’invasion dorienne, et de supposer que la supériorité militaire des Dorions fut due à l’usage du fer, qu’ils connaissaient. Ainsi se forme un réseau de faits qui, dans quelques années, se changera en une histoire suivie. Chaque découverte, petite ou grande, est comme une de ces innombrables épingles que les dentellières disposent sur leur métier ; l’ouvrage qui en sort est une merveille.


EMILE BURNOUF.