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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/123

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à Sidi Boulbaba ; une sécheresse affreuse désolait le pays depuis sept années, les populations le supplièrent d’intervenir en leur faveur auprès de Dieu. Il se retira et resta trois jours en prière : alors une pluie abondante tomba. Le muphti de l’Arad, qui était à cette époque Si Mohammed Trabelsi, voyant la stupeur des Arabes, les réunit et s’écria : « Vous êtes dans l’admiration ! Pauvres d’esprit, ne comprenez-vous pas qu’il s’est joué de vous ? Un derviche ne commande pas à la pluie ; celui-ci est un imposteur. » Les Arabes, applaudirent leur muphti ; Senoussi partit aussitôt, et ne chercha jamais à fonder de zaouïa dans un milieu si peu crédule. Il n’en continua pas moins son voyage avec succès, descendit en Tripolitaine, traversa la Cyrénaïque et vint enfin au Caire, où il demeura.

Ce voyage eut-il pour effet de déterminer sa vocation, ou suivit-il au contraire ce long chemin d’étape en étape pour préparer l’exécution d’un dessein déjà mûri ? De ces deux hypothèses qui peuvent du reste se concilier, la seconde est la plus probable. Il ne négligea aucune occasion de se créer sur son passage des relations qui devaient lui être précieuses plus tard et d’étudier sur place quel milieu serait le plus favorable à l’éclosion et au développement d’un ordre comme celui qu’il rêvait déjà.

Le fanatique Si Moussah bou Ahmar avait été son compagnon à Fez et à Laghouat ; Si Ahmed ben Dris, de La Mecque, l’initia à l’ordre des khadirya, dont il était le chef, ordre d’ascètes, d’hallucinés, de mystiques, très hostiles au pouvoir, et dont les membres vivaient à l’écart, dans le silence, en contemplation. Ben Dris était devenu populaire par son intransigeance et par les persécutions dont il avait été l’objet : resté orthodoxe, il n’avait pas pu être traité par Mehemet-Ali comme un ouahbite, mais il s’était fait exiler du Caire, puis de La Mecque. Senoussi devait être séduit par un pareil maître : aussi prit-il son deker, et le choisit-il entre tous comme sien, après avoir obtenu toutefois qu’il le modifiât suivant ses idées ; à sa mort, il devint son successeur en Égypte, malgré l’opposition des héritiers légitimes, qui lui disputaient la direction et réussirent à diviser l’ordre en deux sectes.

Senoussi était arrivé au Caire au moment où les réformes de Mehemet-Ali soulevaient encore les discussions religieuses les plus ardentes ; il n’avait pas manqué de se signaler parmi les orateurs les plus violens et de se déclarer ouvertement contre la politique civilisatrice du khédive. Son opposition eut ce double résultat de lui aliéner le clergé orthodoxe qui s’était groupé autour du trône et de le faire expulser d’Égypte.

La Mecque et Médine, où il se rendit alors, et qui étaient en somme le but de son pèlerinage, ne pouvaient qu’exalter son fanatisme ; il