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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/140

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quelques amitiés fidèles à d’anciens souvenirs, elle n’avait plus de partisans. Le duc de La Vauguyon, intelligent, énergique et modéré, mit tout son honneur à reconstituer un parti français et il y réussit. Sa maison devint le centre d’un véritable groupe, et tous ceux qui regrettaient de ne voir dans le stathouder qu’un vice-roi de l’Angleterre aux Pays-Bas, les patriotes, comme ils s’appelèrent, apprirent à venir chercher chez lui des conseils et des instructions. Quand, en 1779, la guerre éclata entre la France et l’Angleterre, si les Pays-Bas restèrent neutres, ce fut grâce à l’habileté et à la prudence de M. de La Vauguyon. Quand, plus tard, le gouvernement britannique déclara brusquement la guerre aux Provinces-Unies, l’ambassadeur de France sut flatterie sentiment national, qui se réveilla comme dans toutes les crises. Moins adroit et plus indolent, Guillaume V rendit facile, par sa négligence et sa mauvaise volonté, les attaques et les accusations du parti qui lui était contraire. Les patriotes répétèrent partout, qu’en apprenant la victoire remportée le 5 août 1781, au Doggerbank, par la flotte hollandaise, le premier mot du stathouder aurait été : « j’espère du moins que les Anglais n’ont rien perdu. » Les prétentions soulevées par l’empereur d’Autriche, au sujet de la possession de Maestricht et de la libre navigation de l’Escaut, vinrent donner au duc de La Vauguyon une nouvelle occasion de fortifier le parti français aux Pays-Bas. Sur les avis de Catherine II et les menaces de la cour de France, Joseph céda sur la question de l’Escaut. Pour renoncer à Maestricht, « pot-de-vin du marché, » d’après Vergennes, il reçut, suivant l’expression du grand Frédéric, un « pourboire » de dix millions, dont le gouvernement français prit la moitié à sa charge. Mais ce ne fut pas M. de La Vauguyon qui termina cette affaire. Il fut rappelé de La Haye et envoyé en Espagne comme ambassadeur, avant d’avoir pu conclure le traité d’alliance entre la France et les Pays-Bas, qu’il préparait depuis longtemps et qu’il pouvait à bon droit regarder comme son œuvre propre.

Le 10 novembre 1785, ce traité d’alliance fut enfin signé à Versailles. Les puissances contractantes promettaient « de se maintenir et conserver mutuellement en la tranquillité, paix et neutralité, ainsi que la possession actuelle de leurs états, domaines, franchises et libertés. » Si les circonstances l’exigeaient, la puissance requise devrait assister son alliée, « même de toutes ses forces. » Le succès était grand pour la France, M. de Vergennes et les patriotes. Malgré quelques hésitations, le ministre n’avait cessé de déclarer que l’alliance hollandaise « était de toutes les alliances possibles la plus avantageuse et la moins sujette à inconvéniens. » et « qu’elle était universellement considérée comme l’un des événemens les plus importans du règne de Louis XVI. »