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V.

« J’y ai fait l’impossible. » Telle fut la réponse adressée par le roi de Prusse au comte de Finck, qui lui demandait d’envoyer au stathouder des conseils de prudence. Frédéric-Guillaume avait été jusqu’à ajouter de sa propre main au bas d’une dépêche pour M. de Gœrtz : « Si le prince d’Orange continue à suivre la même marche, il se perdra infailliblement. »

Guillaume V n’espérait plus son salut que de la guerre civile. Jamais la république n’avait été plus troublée, et l’écheveau de la constitution n’avait jamais été embrouillé d’une manière plus inextricable. Dans la province de Gueldre, le stathouder, appuyé sur la majorité des états, se trouvait maître presque absolu. Dans la province d’Utrecht, une scission s’était opérée dans les états mêmes. La majorité des membres de la noblesse et du clergé, réunis dans la petite ville d’Amersfoort, rendaient des édits sous la protection des troupes orangistes. Les députés des villes, rejoints bientôt par quelques membres des autres ordres, siégeaient à Utrecht, où les corps de bourgeoisie se préparaient à les défendre. La province de Hollande restait sous la dépendance des patriotes, mais la minorité stathoudérienne, trop faible pour agir, était assez forte pour entraver, et retardait tous les préparatifs de résistance. Aux états-généraux, les forces des deux partis se trouvaient presque égales ; la majorité penchait tour à tour dans l’un et l’autre sens, donnant raison un jour aux patriotes pour approuver le lendemain le stathouder, et déclarer légales les décisions contradictoires prises par le stathouder ou les patriotes.

L’importance prépondérante de la Hollande dans la république n’en rendait pas moins probable le succès des républicains. M. de Vergennes avait le droit d’y croire; il ne vécut pas assez longtemps pour assister à leur défaite.

Le 15 février 1787, les ambassadeurs des Provinces auprès de la cour de France écrivaient à leurs hauts commettans : « Le seigneur comte de Vergennes a vu son état empirer si soudainement, qu’hier au soir vers les trois heures, il a rendu l’esprit, regretté par tous avec raison. Le roi a désigné pour son successeur le comte de Montmorin, ancien ambassadeur près la cour d’Espagne. »

M. de Vergennes n’était pas un grand homme d’état; il manquait de ces dons supérieurs qui placent au premier rang et font les Richelieu ou les Pitt. Il n’avait ni beaucoup de largeur dans les vues, ni beaucoup de hardiesse dans l’exécution ; mais ses qualités étaient sérieuses, et l’on ne saurait méconnaître ses services sans injustice. Intelligent, instruit, modéré, il avait un sentiment profond