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voix basse et ces lointaines ritournelles. Peu à peu le silence se fait : un petit quatuor inquiet le trouble à peine. Les archers continuent de jouer dans l’ombre, et leur refrain s’étouffe de plus en plus. Ils se taisent enfin, et s’en vont. Alors, des grondemens confus de l’orchestre se dégage un profond sanglot. La barque descend au fil de la rivière, portant le cadavre de Comminge. Accompagnée par la mélodie funèbre, elle glisse comme la barque de Dante sur le fleuve sombre et lourd :


Cosi sen vanno su per l’onda bruna.


Voilà comment il faut employer l’orchestre quand les voix deviennent impuissantes. Voilà comment il faut le faire chanter et gémir.

Trois semaines après la représentation de son chef-d’œuvre, Herold s’éteignait. Hélas ! que de tombeaux où l’on pourrait écrire la question mélancolique du poète:


Quare taon immatura vagatur?


II.

« Herold avait la qualité, disait Auber, moi j’ai la quantité. » Le vieux maître se faisait trop sévère justice. Scudo écrivait en 1857 : « Le jour où l’on examinera avec soin la couronne de roses qui orne les cheveux blancs du dernier des compositeurs français, on pourra y compter bien des feuilles mortes et beaucoup de clinquant. » On l’a examinée depuis, cette couronne d’un compositeur qui ne fut pas heureusement le dernier des nôtres; et, dans un discours qui fit du bruit, un penseur et un écrivain de premier ordre, un homme de goût, un ministre d’alors Il y a longtemps de cela), disait d’Auber : « Lisez-le d’un bout à l’autre: suivez son histoire depuis le commencement ; son nom est facilité. Tout lui a réussi dans l’art et dans la vie. Les moins musiciens le comprenaient et l’aimaient à première vue, et l’on sentait que ses airs lui venaient tout seuls et ne lui coûtaient aucun effort. Il y a plus de travail dans la plus courte scène des Huguenots que dans toute la Muette, qui pourtant est un chef-d’œuvre. Oui, cet homme a produit plus que personne, et il est certain qu’il n’a jamais travaillé. On a dit qu’il était ignorant; pas du tout, mais il fallait qu’il sût sans avoir appris, car Auber prenant de la peine est aussi impossible à imaginer qu’Auber faisant de la musique grossière ou de la musique ennuyeuse. C’est une exception magnifique... » Et M. Jules