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Simon ajoutait : « dont la place n’a jamais été ici. » Ici, c’était le Conservatoire, et le ministre avait, disait-on, mauvaise grâce à mal parler, devant des élèves, de leur maître à peine enseveli.

Mal parler! M. Jules Simon parlait-il si mal d’Auber? Mal à propos, tout au plus. Il ne l’aurait pas nommé directeur du Conservatoire; cela n’était peut-être pas bon à dire au Conservatoire même, mais le reste était excellent à dire partout. « Son nom est facilité. » Ce fut bien, en effet, la qualité maîtresse et le défaut capital d’Auber; la facilité le perdit parfois et le sauva toujours. Par l’abondance, par l’intarissable épanchement de sa mélodie, il hit, en effet, une exception magnifique. A quatre-vingt-six ans, il composait un opéra comique intitulé : le Premier Jour de bonheur! Ce titre seul, à cet âge, ne fait-il pas sourire? Il souriait lui-même, l’aimable vieillard ; il rendait à la vie tous les sourires qu’elle avait eus pour lui.

Cette bonhomie spirituelle désarme qui voudrait devenir sévère; cette inspiration souvent médiocre, jamais absente, étonne par le fait seul de sa continuité. Elle étonne, quitte à finir par lasser, par agacer même. Auber a semé partout des fleurs, mais trop souvent des fleurs artificielles. Ses mélodies jaillissent comme d’ingénieuses petites fontaines ; il leur manque la profondeur et le mystère des sources. Sans demander l’effort et le labeur au génie, sans mesurer le mérite à la peine, on peut exiger de l’art le sérieux et la conviction. Tous deux ont fait maintes fois défaut à Auber. Pendant quarante ans, il a gaspillé les couplets, les refrains, les barcarolles, les sérénades qu’il entendait fredonner dans sa tête; il ne se recueillit jamais pour écouter une grande voix chanter au fond de son âme.

Elle est perdue, l’émotion des Monsigny, des Grétry, des Boïeldieu. Après Herold, le musicien romantique, Auber, « le père Auber, » le musicien bourgeois. Bourgeois 1 il l’était tant, qu’à lui donner encore ce nom on le mérite presque soi-même. Il est banal de lui reprocher sa banalité. Nous ne disons pas sa trivialité, car, M. Jules Simon a raison, Auber n’est pas trivial. Henri Heine écrivit méchamment di; Scribe et d’Auber, du poète et du musicien : « Tous deux ont de l’esprit, de la grâce, du sentiment, même de la passion ; il ne manque à l’un que la poésie, à l’autre que la musique. » Il y eut entre ces deux natures une affinité singulière, une rare faculté d’association, presque d’assimilation Pour bien des gens, l’opéra comique est resté un composé de Scribe et d’Auber, comme l’eau, d’oxygène et d’hydrogène : il n’y a pas mélange, mais combinaison; si parfaite, que les paroles parfois pourraient être d’Auber, et la musique, de Scribe. Avec Boïeldieu, le Boïeldieu de