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terminé surtout par la plus spirituelle coda, délicieuse page de musique bouffe. Mais le point culminant de la partition est le merveilleux sextuor de la consultation. Une franche ritournelle annonce l’arrivée de Sganarelle en médecin. Il interroge la jeune fille, et déjà ses premiers raisonnemens mettent en gaîté la famille de l’ægrotante. L’orchestre s’anime : les notes piquées, les sonorités nasillardes soulignent les questions du médecin. Celui-ci prépare son diagnostic, et quand, après une attente solennelle, éclate le fameux : « Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette ! » alors éclate aussi une strette fulgurante :


La médecine
Voit et devine
Du premier coup
Le fond de tout !


s’écrie Sganarelle en délire, et ses auditeurs émerveillés font chorus. L’ivresse les gagne tous, l’ivresse de la science et de ses secrets conquis. Plus de médecin malgré lui : entraîné par sa découverte, par son succès, Sganarelle même finit par se croire et se vouloir médecin tout de bon. Il l’est de toute son âme, et se proclame tel de toute sa voix. Le mouvement se précipite, les triolets sifflent et le presto vertigineux achève cet ensemble dans un éclat de rire rossinien.

On a dit que M. Gounod était un musicien littéraire. Le mot est juste et n’a rien que de flatteur. Dans une page comme ce sextuor, il y a plus que de la musique pure : il y a l’intelligence parfaite et comme philosophique de l’idée, l’expression renforcée par la musique, non-seulement d’une situation comique, mais d’un caractère moral, de ce que l’art purement littéraire de la comédie cache de plus difficile à rendre.

Mireille, le tendre poème de Mistral, devait séduire le plus tendre de nos musiciens, mais, par une singulière disgrâce, ne l’inspirer qu’à demi. La partition de M. Gounod, qui renferme plus d’une page excellente, n’est pas le chef-d’œuvre qu’on pouvait espérer : et qui relit tour à tour le compositeur et le poète s’étonne de ne pas plus trouver leurs deux âmes sœurs. Sans doute, le premier acte de Mireille est fort agréable : le chœur des magnanarelles est gai; si la valse est une concession regrettable au goût du public ou des cantatrices pour les vocalises, le duo de Mireille et de Vincent est caressant et s’achève poétiquement sur une reprise lointaine du chœur. Mais nous sommes loin du second chant du poème provençal, la Cueillette, que ce duo résume un peu trop brièvement. Mireille et Vincent sont assis sur les branches d’un mûrier qu’ils dépouillent. Partout