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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/192

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chantent les magnanarelles, et les deux enfans devisent en travaillant : « Elle n’est pas laide non plus, ma sœur, ni endormie, dit Vincent ; mais vous, combien êtes-vous plus belle ! — Là, Mireille, à moitié cueillie, laissant aller sa branche : — Oh ! dit-elle, ce Vincent !

« Chantez, chantez, magnanarelles ! ………………..

« Comme une libellule de ruisseau, ma sœur est encore grêle ; pauvrette ! elle a fait dans un an toute sa croissance… Mais, de l’épaule à la hanche, vous, ô Mireille, il ne vous manque rien ! — Laissant de nouveau échapper la branche, Mireille, toute rougissante, dit : — Oh ! ce Vincent !..

« En dépouillant vos rameaux, chantez, chantez, magnanarelles… »

Le voilà, le duo, mais autrement savoureux et presque aussi harmonieux en poésie qu’en musique. Cette musique est pourtant élégante, le contour mélodique en est distingué. Ce qui lui manque ici, c’est le caractère et comme le parfum. La poésie de Mistral, au contraire, est si odorante, la couleur locale y rehausse si bien l’humilité du sujet et donne tant de relief au récit de ces naïves amours ! Chaque épisode est comme une aquarelle éclatante et douce ; la musique est venue et tout semble pâli. Le grand air de Mireille est un peu froid d’abord, puis un peu vulgaire. Vulgaire aussi, le duo final et la scène des Saintes Maries. Par quoi donc vaut l’œuvre ? Par trois ou quatre pages, qui font, sur l’ensemble un peu terne, comme des taches de lumière. Le duo de Magali, devenu fameux, méritait de le devenir. M. Gounod n’a rien écrit de plus achevé ni de plus personnel ; voilà bien le sentiment et le style qu’il a créés. Autant qu’une églogue de Virgile, les Muses auraient aimé cette chanson dialoguée de printemps et d’amour : Amant alterna Carriœnœ.

Pourquoi supprimer, à la représentation de Mireille, deux scènes qui sont belles : le Val d’enfer et le Rhône ? Ce n’est pas alléger, c’est mutiler l’œuvre, dont ces prétendues longueurs pourraient bien être les vraies beautés. On entendrait avec plaisir le prélude du Val d’enfer, écrit dans le style aérien et légèrement fantastique du Songe d’une nuit d’été. Le duo qui suit, entre Ourrias et son rival, contient la plus belle phrase peut-être de la partition, un cri de détresse jeté deux fois par Vincent à travers la nuit. Enfin, la scène du naufrage est dramatique, surtout dans sa seconde partie. Sous la barque qui porte le meurtrier, le Rhône grossit peu à peu : par milliers montent à la lueur des étoiles les morts qui peuplent l’eau profonde. M. Gounod a rendu tout cela avec puissance : un mouvement très lent, des crescendos brusquement réprimés