et de la vie à bon marché? Aujourd’hui ce n’est plus aux économistes ni aux catholiques qu’il en a ; c’est le Polonais qui est l’éternel brouillon, le danger public, l’inconvertible pécheur, le bouc d’abomination.
M. de Bismarck a découvert que le grand-duché de Posen est un foyer de conspiration permanente contre la monarchie prussienne et contre l’intégrité de l’empire germanique, que le ciel et la terre s’uniront plutôt que les Allemands et les Polonais, qu’il y va du salut de l’état de briser la puissance de la noblesse polonaise. A vrai dire, cette noblesse ne s’est rendue coupable d’aucun fait d’insoumission ou de provocation ; on ne peut alléguer à sa charge que des péchés ou des délits de pensée. Mais M. de Bismarck est l’homme des inquiétudes à longue échéance. Il a prévu le cas où l’Allemagne aurait à en découdre avec son grand voisin de l’est, et il entend mettre hors d’insulte dès aujourd’hui la frontière orientale de l’empire. « La Prusse, disait-il en substance dans l’un de ses derniers discours, a obtenu par le congrès de 1815 un héritage de deux millions de sujets polonais, récoltant ainsi ce qu’elle n’avait pas semé. Je ne crois pas que la paix soit en danger d’être troublée; mais il est possible que la Providence, mécontente de la façon dont nous avons accepté ses faveurs pendant les vingt dernières années, — c’est-à-dire mécontente de tous les ennuis que vous me donnez, de tous les dégoûts que me causent votre ingratitude, vos infidélités et les incartades de votre esprit rebelle, — veuille soumettre le patriotisme allemand à une nouvelle et fortifiante épreuve. Comment pourrions-nous combattre de fortes coalitions, qu’encourageraient nos dissentimens intérieurs et l’alliance secrète du Polonais avec nos ennemis? »
Il faut rendre à M. de Bismarck cette justice que, s’il a souvent varié dans ses opinions touchant l’économie politique et le catholicisme, il n’a jamais varié dans ses sentimens à l’égard des Polonais. On pourrait relire d’un bout à l’autre la longue suite des discours qu’il a prononcés depuis le jour où il est devenu ministre, sans y trouver un mot aimable pour la noblesse du grand-duché de Posen. Les Polonais lui sont antipathiques par leurs qualités comme par leurs défauts, par leur générosité imprévoyante, par leur bravoure chevaleresque, par leur humeur aventureuse, par leur indiscipline naturelle, par leur disposition à protéger leurs droits contre toutes les entreprises de l’état, par leur aversion profonde pour le césarisme. Mais ce que M. de Bismarck a le plus de peine à leur pardonner, c’est l’obstination de leurs souvenirs et de leurs espérances; ils ne peuvent oublier la grande iniquité dont ils ont été les victimes, et ils persistent à en appeler. Rien n’irrite plus César que de rencontrer sur son chemin des forces qui résistent à l’épée, des âmes qui ne se rendent pas, des vaincus qui subissent leur défaite et ne respectent point leur vainqueur.