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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/230

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« homme jaune » et consultons l’histoire de « cette face de lune : » voici qu’aussitôt nous nous sentons apparentés de plus près à cet étranger qu’à la plupart de ceux qui passent pour sortir avec nous d’une même origine : l’Indou, le Persan, le Slave même peut-être. Et réciproquement c’est lui, qui, de tous les Asiatiques, avec le plus d’aisance et de sûreté, dès qu’il le veut, s’assimile tout ce qu’il veut de nos habitudes et de nos pratiques. Quel est donc ce mystère, ou plutôt cette énigme? et pourquoi passe-t-on à côté d’elle comme sans lavoir? « Comment se fait-il, demandait jadis M. Emile Montégut, comment se fait-il que ces frères mongoliques semblent avoir avec les nations européennes une parenté d’âme et d’intelligence si étroite, tandis que les autres peuples orientaux, qui sont nos véritables parens selon la chair et les lois de la race, n’ont avec nous, pour ainsi dire, qu’une parenté de visage et de couleur? Comment se fait-il que nous retrouvions en Chine la morale que nous considérons comme la plus favorable au bonheur du genre humain, le même esprit d’humanité que nous considérons comme le meilleur instrument du perfectionnement de notre espèce, le même rationalisme éclairé que nous considérons comme la véritable religion de l’homme civilisé? Comment se fait-il enfin que les seuls peuples qui nous soient parens par l’âme soient précisément ceux qui, selon la critique, nous sont étrangers par la race, les Juifs et les Chinois[1]?» La question est toujours pendante, elle offre toujours le même intérêt, et aussi les mêmes difficultés. Mais n’est-elle pas digne d’être enfin traitée? car si l’on ne la traite pas on avoue qu’elle est insoluble, et si elle est insoluble, que reste-t-il de la prétendue psychologie des nationalités? j’incline pour ma part à la croire en effet insoluble.


F. BRUNETIERE.

  1. Livres et âmes des pays d’Orient, par M. Emile Montégut. Paris, 1885 ; Hachette.