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était l’arbre de vie; selon une autre, c’était l’arbre de la distinction du bien et du mal. Le rédacteur jéhoviste prend le parti de les mettre tous les deux au milieu ; dans la suite du récit, les deux arbres se confondent et se distinguent tour à tour. On remarque des hésitations du même genre dans l’emploi des deux noms Abram et Abraham. L’aventure d’Abraham chez Pharaon et celle d’Isaac chez Abimélek sont un même récit qui se présentait sous deux formes, dont le rédacteur n’a voulu négliger aucune. Le « rire » qui sert de base à l’étymologie d’Isaac est raconté de deux manières. Béthel est deux fois consacré lieu saint par Abraham et par Jacob. Tout ce qui touche à la famille de Moïse est contradictoire au plus haut degré. Dans une foule de cas, le rédacteur, tenu en suspens, ou ne comprenant pas bien ses sources, atténue, altère, explique à faux ce qui l’embarrasse.

L’Histoire sainte, telle qu’elle sortit de la plume du jéhoviste, ne nous est parvenue que d’une manière fragmentaire. Nous verrons plus tard comment un arrangeur combina l’histoire sainte du Nord avec un livre analogue éclos à Jérusalem, et, dans cette œuvre de compilation, supprima des pages entières des deux écrits, pour éviter les doubles emplois, les contradictions trop évidentes, ou bien pour écarter certains passages qui répugnaient à ses idées. C’est ainsi que le commencement de l’Histoire sainte israélite a été fort écourté. Le dernier rédacteur, après avoir transcrit le beau début du texte hiérosolymite, a supprimé le passage parallèle de la rédaction du Nord. On doit supposer, du reste, que le récit des six jours manquait dans cette première Genèse. Le début était probablement : « Au jour où Iahvé Dieu fit la terre et le ciel[1]... » La création de la lumière, l’ordre établi dans le chaos, la création des astres, remplissaient la partie maintenant supprimée, puis l’auteur prenait la terre en particulier et racontait ainsi son histoire :


... Et d’arbres des champs, il n’y en avait pas encore; et l’herbe des champs n’avait pas encore germé, car Iahvé n’avait pas fait pleuvoir sur la terre, et il n’y avait pas d’hommes pour travailler le sol. Et une vapeur montait de la terre et humectait toute la surface du sol. Or Iahvé forma l’homme avec de la poussière tirée du sol, et il souffla dans ses narines un souffle de vie, et l’homme fut âme vivante. Et Iahvé planta un jardin en Eden, à l’orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. El Iahvé fit germer du sol toute sorte d’arbres agréables à voir et portant des fruits bons à manger, et l’Arbre dévie était au milieu du Jardin (et aussi l’Arbre de la distinction du bien et du mal). Et

  1. Gén., II, 4.