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des pièces telles que le dixième chapitre de la Genèse, sorte de carte de géographie du temps de Salomon. L’idée de compiler, avec ces traditions et ces documens, une Histoire sainte parallèle à celle du Nord, devait venir. On ne se tromperait peut-être pas beaucoup en plaçant un tel travail vers 775 ou 750 ans avant Jésus-Christ.

L’ouvrage qui résulta du travail hiérosolymite[1] était un peu plus court que celui du Nord. Le caractère en était plus simple, moins mythologique, moins bizarre. Une foule d’étrangetés que le rédacteur du Nord avait trouvées dans le livre des Légendes manquaient ici. La façon de faire agir Dieu était bien plus réservée, l’anthropomorphisme moins naïf; on sent que l’auteur craignait de compromettre la majesté divine en lui prêtant des passions, souvent des travers tout humains. L’auteur eut, en outre, un singulier scrupule. Par une arrière-pensée de couleur locale, analogue à celle qui se remarque dans le livre de Job, il ne voulut désigner Dieu par le nom de Iahvé qu’à partir du moment où ce nom est censé promulgué et expliqué. Cette particularité sans portée a été l’origine du nom d’élohiste, par lequel on a coutume de le désigner.

C’est par sa première page que cet écrivain a marqué sa place en lettres d’or dans l’histoire de la religion, et en lettres beaucoup moins lumineuses dans l’histoire de la science et de l’esprit humain. Pour le récit de la création, en effet, le combinateur définitif de l’Histoire sainte a préféré le début hiérosolymite au début du jéhoviste, sans doute parce qu’il y trouvait un caractère plus frappant de simplicité et de dignité. Ainsi nous a été conservée l’étonnante page qui commence ainsi :


Au commencement. Dieu créa le ciel et la terre. Et la terre était chaos, et ténèbres régnaient sur la surface de l’abîme, et le souffle de Dieu planait sur les eaux. Et Dieu dit: « Lumière soit! » Et lumière fut. Et Dieu vit que la lumière était bonne, et il sépara la lumière et les ténèbres...


Cette admirable page est entrée dans la mémoire du genre humain. On aperçoit sans peine les différences essentielles qui distinguent la cosmogonie hiérosolymite de celle du Nord. Malgré l’état de mutilation où celle-ci nous est parvenue, il est permis d’affirmer que la création ne s’y faisait pas en six jours, que la création de l’homme avait lieu à une époque où la terre était entièrement aride, avant toute végétation et toute vie; que la création des animaux avait lieu

  1. C’est le document que les Allemands désignent par la lettre A.