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jéhoviste, en d’autres termes, que la rédaction jéhoviste n’avait pas fait disparaître ses sources, ainsi que cela est arrivé si souvent en histoire. Un fait bien remarquable, en effet, c’est que l’unificateur, dans plusieurs cas, paraît reproduire le texte des Légendes patriarcales du Nord, même quand il a reproduit le texte du jéhoviste. Les Légendes du Nord, par exemple, contenaient un récit cher aux conteurs d’histoires patriarcales : Abraham chez Abimélek, roi de Gérare, était amené à faire passer sa femme pour sa sœur. Ce sujet avait fourni au jéhoviste deux récits distincts, l’un mis sur le compte d’Abraham en Égypte, l’autre mis sur le compte d’Isaac à Gérare. L’unificateur a emprunté au jéhoviste ces deux récits; mais cela ne lui a point suffi. Au chapitre XX de la Genèse, il nous a conservé le récit primitif des Légendes du Nord. La même observation peut être faite à propos de plusieurs autres récits, en particulier en ce qui concerne le sacrifice d’Abraham. On peut admettre également que, dans la section dite des Nombres, certains passages du Iaschar ou du Livre des Guerres de Iahvé qu’avait négligés le jéhoviste, ont été repris par l’unificateur. Le rôle de celui-ci, en un mot, n’a pas uniquement consisté à fondre deux textes ensemble. La tâche a été plus compliquée ; voulant en finir avec les rédactions plus anciennes, il a tenu à transcrire dans sa rédaction tout ce qui lui paraissait important. Il savait que le livre des Légendes du Nord ne survivrait pas à l’usage qu’il en faisait; il a voulu l’épuiser en quelque sorte. C’est la loi de l’historiographie orientale, en effet, qu’un livre tue son prédécesseur. Les sources d’une compilation survivent rarement à la compilation même. En d’autres termes, un livre ne se recopie guère tel qu’il est ; on le met à jour, en y ajoutant ce que l’on sait ou croit savoir. L’individualité du livre historique n’existe pas en Orient ; on tient au fond, non à la forme ; on ne se fait nul scrupule de mêler les auteurs et les styles. On veut être complet, voilà tout.

Le volume d’Histoire sainte qui résulta de ce travail d’unification formait à peu près la moitié de l’Hexateuque actuel. Il y manquait le Deutéronome, tout l’ensemble des lois lévitiques et plusieurs récits de la vie de Moïse, que l’on emprunta plus tard aux Vies des prophètes. Les plus belles parties du nouveau livre et les plus développées étaient prises au récit jéhoviste. C’est sous cette nouvelle forme que les vieux récits d’Israël ont passé à la postérité et ont été l’objet de l’admiration de tous les siècles. Le texte élohiste, cependant, obtint, sur un point, le triomphe le plus complet. Nous ignorons ce qu’était, dans le jéhoviste, le récit de la création. Il était sans doute moins beau et moins complet que celui de l’élohiste. C’est ce qui décida l’unificateur à commencer son ouvrage par la page solennelle qui servait de début à