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en même temps habile et entreprenant, datait d’avant la révolution. Les circonstances donnèrent à l’instinct gouvernemental de la race bourgeoise l’occasion unique de se développer. Le principe de concentration présida à toute cette organisation administrative, judiciaire et financière que l’on connaît et qui est entrée presque dans notre sang. Les liens les plus étroits de la centralisation étreignirent toute la société démocratique, à la satisfaction de ceux qui l’avaient fondée. La réorganisation de l’institution du notariat, la transformation de l’ancienne compagnie des procureurs en celle des avoués, répondaient aux vœux de ces puissans esprits pratiques qui entouraient le jeune consul, maître plus obéi que Louis XIV.

Quant aux avocats, Bonaparte leur fit de bonne heure l’honneur de les redouter. Ces anciens chefs du tiers-état avaient souffert de la révolution qu’ils avaient faite. La loi de l’an XII avait bien rétabli le tableau ; mais l’ordre n’existait pas encore légalement avec ses libertés et ses droits. Les avocats ne devaient pas modifier les violentes antipathies de Bonaparte à leur égard. Pourrait-on oublier la lettre de l’empereur à Cambacérès, à propos du décret de 1810 sur les franchises du barreau? « Ce décret est absurde! Il ne laisse aucune prise, aucune action contre les avocats. Ce sont des factieux, des artisans de crimes et de trahison. Tant que j’aurai l’épée au côté, je ne signerai pas un pareil décret; je veux qu’on puisse couper la langue à un avocat qui s’en sert contre le gouvernement.» Et cependant, — telle est la force de la tenue et de la probité, — la tourbe des défenseurs officieux se dispersait; la clientèle, avec l’influence, revenait partout aux survivans de l’ancien barreau. Ils étaient restés, en religion, en politique, en littérature, ce qu’étaient leurs devanciers : même bon sens, même mesure; et, en tout, cette pointe de libéralisme qui fit qu’en 1804, sur deux cents membres inscrits au barreau de Paris, trois seulement votèrent pour l’empire. Les années devaient, de part et d’autre, accroître ces rancunes ; et il faut attendre la restauration pour retrouver le barreau à la tête de la bourgeoisie.

Pendant que, dans l’administration, la concentration prévalait, la haute bourgeoisie de province trouvait dans le premier consul l’interprète résolu de ses théories sur la société religieuse. Le catholicisme, loin de Paris, n’avait pas cessé de faire un pas en avant depuis le 9 thermidor. Les prêtres qui avaient prêté serment en 1791 étaient en petit nombre. Ceux qui revenaient de l’étranger baptisaient à nouveau les enfans, remariaient les époux et réveillaient les consciences endormies. Français (de Nantes), chargé, comme conseiller d’état, d’inspecter le midi, le constatait. C’était bien autre chose dans tout l’ouest, en Bretagne, dans la Charente, dans la Vendée, dans les Deux-Sèvres. Deux autres commissaires dont le témoignage n’était