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étaient soudains, déconcertans. Son courroux et son bon vouloir se réglaient au gré des circonstances. Il pouvait, sans rien sacrifier ni compromettre, manifester des tendances pacifiques. Par ses affirmations hautaines et ses procédés discourtois, il avait atteint son but; il avait impressionné la France, inquiété l’Autriche et rappelé au respect de leurs engagemens la Bavière et le Wurtemberg : le comte de Beust protestait de ses sentimens germaniques, Napoléon III affectait la résignation ; au parlement, les libéraux faisaient litière de leurs principes, et les cours du Midi s’appliquaient de leur mieux à faire sanctionner par les chambres des traités qui consacraient leur asservissement.

M. de Bismarck, son évolution accomplie, s’étonnait qu’on se fût mépris sur la pensée dont il s’inspirait en adressant à ses agens, au lendemain d’une entrevue menaçante, une circulaire confidentielle qui, par le fait d’une indiscrétion, avait été livrée à la publicité; il ne pouvait pas prévoir le retentissement que ses paroles auraient à l’étranger et s’attendre au déplaisir qu’elles causeraient à ses alliés du Midi. Il s’était flatté qu’en reconnaissant les obligations qui découlent du traité de Prague, on n’attacherait qu’une importance secondaire aux espérances qu’à titre de consolation il avait laissé entrevoir à ses partisans dans un avenir indéterminé. Pouvait-il, après le concert qui s’était établi, à la face de l’Europe, entre les deux empereurs, décourager le sentiment national qui, au jour du danger, serait sa force? La Prusse n’était-elle pas autorisée à se prémunir contre une agression éventuelle en voyant la diplomatie française en Allemagne s’attaquer à sa politique, contrecarrer sa légitime influence auprès des cours méridionales?

Tels étaient les argumens que le chancelier faisait valoir pour expliquer ses griefs et justifier ses récriminations. Il disait qu’il n’avait rien négligé pour entretenir avec le cabinet des Tuileries des relations confiantes ; il avait prescrit au comte de Goltz une attitude amicale, il lui avait recommandé de se montrer rassuré par les manifestations personnelles de l’empereur et par les déclarations de son gouvernement sur la portée de l’entrevue de Salzbourg. Il lui avait donné l’ordre de nous tranquilliser sur la loyale exécution du traité de Prague, sans admettre toutefois notre intervention dans des arrangemens auxquels nous n’avions pas participé[1].

  1. Dépêche de Berlin. — « Il suffit au comte de Bismarck d’avoir empêché la confédération du Sud. Son intention n’est pas de braver la fortune en poursuivant la médiatisation constitutionnelle absolue des souverains dont l’indépendance a survécu à la guerre de 1866. Isolés les uns des autres, les états du Midi pourront de moins en moins se passer de l’appui de la Prusse. Il le leur assurera au moyen d’arrangemens particuliers qui auront le caractère de combinaisons internationales, de façon à satisfaire tous les goûts et à ménager les susceptibilités des puissances étrangères. C’est par le caractère international et conditionnel des transactions qui interviendront dans un avenir plus ou moins rapproché que les rapports des états du Sud avec la Prusse se distingueront du statut constitutionnel qui forme la base fondamentale de la confédération du Nord en un tout compact et indivisible à jamais. »