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de temps il devint l’un des hommes les plus populaires du territoire, et, lorsqu’en 1869 éclata la première insurrection des métis, Riel fut appelé par eux à en prendre le commandement.

Le Canada venait d’acquérir les territoires du nord-ouest. Les demi-blancs voyaient cette cession avec inquiétude. D’une part, ils redoutaient l’application du système fiscal canadien ; de l’autre, ils se sentaient menacés, en tant que détenteurs du sol, n’ayant pour la plupart aucun titre écrit et ne possédant qu’en vertu du droit de préemption, qui avait pour eux force de loi. Riel prit, sans hésiter, le commandement qu’on lui offrait, et, avant que le gouvernement canadien eût pu s’y opposer, il s’emparait du fort de la Compagnie, décrétait l’organisation d’un gouvernement local dont il se proclamait chef et mettait en demeure les autorités d’accorder aux demi-blancs d’être représentés au parlement, ainsi que de leur garantir les droits de propriété et autres dont ils jouissaient. En même temps, bien renseigné par les Indiens et connaissant parfaitement le pays, il faisait main basse sur les dépôts d’armes et de munitions dont ils lui signalaient l’existence, armait et équipait ses partisans, dont le nombre grossissait chaque jour. Les milices volontaires anglaises tentèrent vainement de s’opposer à ses progrès ; Louis Riel les battit, et, résolu à inspirer la terreur, fit fusiller leur chef, Thomas Scott. Le général Wolseley, célèbre depuis, était alors lieutenant-colonel au service du Canada. Ce fut lui que le gouvernement chargea de réprimer l’insurrection. À la tête de 1,000 hommes de troupes régulières et des milices nationales, Wolseley réussit à atteindre le Fort-Garry. Hors d’état de résister, Riel dut licencier ses partisans et chercher un refuge aux États-Unis. Peu après, le gouvernement canadien le condamnait à cinq ans d’exil.

L’insuccès de Riel ne compromit en rien sa popularité : il avait fait preuve d’audace et d’énergie ; l’exil augmentait son prestige, et, tout vaincu qu’il fût et forcé de fuir, il obtenait cependant gain de cause dans une certaine mesure, puisque le gouvernement canadien admettait en principe les réclamations des demi-blancs et leurs droits à des compensations équitables. À l’expiration de sa sentence de bannissement, Riel rentrait dans le Manitoba, salué des applaudissemens de ses compatriotes, prêts à se ranger de nouveau sous les ordres de celui qu’ils considéraient comme leur chef naturel, le représentant de leur race et le défenseur de leurs droits.

Il l’était et le fit bien voir en sachant résister à l’impulsion de ses partisans. Les fenians, ou Irlandais, nombreux et puissans aux États-Unis, animés contre l’Angleterre d’une haine implacable, non contens d’entretenir par leurs subsides l’agitation en Irlande, cherchaient, par tous les moyens possibles, à faire naître un conflit