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entre les États-Unis et l’Angleterre. Aud États-Unis même ils se sentaient appuyés, ouvertement, par un parti considérable, tacitement, par de hautes influences. Les États-Unis ne voyaient pas sans regrets le nord de l’Amérique aux mains des Anglais ni sans une certaine satisfaction les dissentimens entre la race française d’origine et le gouvernement colonial. On caressait espoir de complications graves de nature à amener un jour ou l’autre l’annexion de cet immense territoire ; on suivait avec attention le mécontentement chaque jour croissant d’une partie de la population, l’affaiblissement des liens qui l’unissaient à la métropole ; et, sans prêter aux fenians un concours compromettant on leur laissait toute liberté d’action. Ils en usaient. Estimant le moment favorable, croyant pouvoir compter sur le concours des demi-blancs, ils organisaient sur les frontières du Canada une expédition de flibustiers destinée à envahir le Manitoba. Vaincus, ils savaient pouvoir se replier sur le territoire des États-Unis, et, grâce à la complicité morale des autorités, y trouver un refuge ; vainqueurs, ils ne doutaient pas d’être soutenus. Leur chef, O’Donohue homme d’action et l’un des plus ardens agitateurs irlandais, entretenait des intelligences avec les mécontens du Manitoba. Il fit sonder Riel pour s’assurer de son concours. Riel le refusa. Le but qu’il poursuivait n’était pas l’annexion aux États-Unis, mais la prépondérance de l’élément français, devant amener, dans un temps peu éloigné, l’indépendance du Canada. Pour lui, l’annexion aux États-Unis n’eût été que l’absorption de l’élément français catholique noyé dans une invasion de colons américains protestans.

La plupart de ses compatriotes ne voyaient ni aussi loin ni aussi juste. Aigris et irrités, ils se montraient disposés à bien accueillir ceux qui leur offraient de faire cause commune contre un ennemi commun. Riel résista à ce courant d’opinion ; il fit plus, il ramena les demi-blancs à ses vues ; il les décida à repousser, même par la force, l’agression des fenians et informa le gouvernement canadien qu’il était prêt, lui et les siens, à coopérer aux mesures de défense que le gouvernement jugerait à propos de prendre en cas d’invasion. Cette attitude énergique ne fit qu’accroître sa popularité, et, aux élections pour le parlement, Louis Riel fut élu par le Manitoba. Cette élection suscita d’ardentes protestations dans le parti anglais, parmi les loyalists, comme ils s’intitulaient. Riel, le chef des insurgés du Manitoba, l’assassin de Thomas Scott, à peine de retour de l’exil, osait de nouveau parler et agir en maître ; il briguait le mandat de membre du parlement canadien et réunissait la grande majorité des suffrages ! On proférait contre lui les menaces les plus violentes, on lui promettait, s’il poussait l’audace jusqu’à venir à Ottawa, le sort de Thomas Scott, exécuté par ses ordres. Riel ne