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est peut-être la plus belle production de l’art lyrique : je ne crois pas qu’un autre opéra renferme une pareille demi-heure de musique. Dans ces deux incomparables scènes, Meyerbeer a versé son génie par torrens, comme l’empereur que le poète nous montre jetant les canons par brassées dans la cuve où bouillonnait sa colonne bien-aimée.

La Bénédiction des poignards semble s’élever, en spirales insensibles, de l’exorde sévère à la péroraison furieuse. Il faudrait rendre cette gradation, cette lente fermentation de colère, amenant l’explosion finale. Saint-Bris doit commencer avec calme, presque avec méfiance, ses confidences scélérates, donner seulement un court accent à la phrase : Des huguenots la race sacrilège, et redevenir aussitôt maître de lui. L’interruption de Nevers l’interdit; il se lève, et, d’un ton presque amical encore, lui conseille d’obéir : c’est moins une apostrophe qu’une réprimande. Même après la fière réponse que M. Melchissédec, pour le dire en passant, dénature par une variante déplorable. Saint-Bris doit se contenir et donner sans émotion l’ordre d’arrêter son gendre. Mais voici que le ton change tout à coup, et ce trémolo solennel, le premier de cette scène, annonce que nous allons tout apprendre. Les moindres récits de Saint-Bris sont de la plus merveilleuse beauté; chaque mesure, chaque note ajoute un trait au personnage de ce sublime organisateur de massacre. Avertissons M. Plançon que, même au comble de l’exaltation, Saint-Bris doit demeurer grand seigneur, modérer, sinon sa voix, du moins ses gestes, prodiguer moins les ronds de jambes ou de bras, déclamer avec plus de largeur et de liberté; je voudrais à cet homme noir une tenue plus digne. C’est, disions-nous, un organisateur, un fanatique à froid, l’impassible meneur d’une horde de forcenés. Sa voix seule doit frémir de fureur quand, au-dessus du trémolo, coupé par les hurlemens des cuivres, éclate le cri terrible : Écoutez ! écoutez ! et surtout le sinistre récit : Lorsqu’enfin de l’Auxerrois la cloche sainte. — Saint-Bris est vraiment l’apôtre de la haine et de l’assassinat. Un instant agenouillée sous la bénédiction des prêtres, la foule se relève en armes, et de toutes ces poitrines, où bat la fièvre du carnage, s’échappe l’anathème final. Ah ! ce couronnement du plus bel édifice qu’ait élevé la main d’un musicien dramatique, prenez garde, il s’écroule et vous ne le soutenez phis. Autrefois, quand venait cette reprise suprême, nous sentions nos cheveux se dresser et jusqu’au fond de notre âme pénétrer le glaive froid du sublime. Nous ne connaissons plus à l’Opéra ni les frissons involontaires, ni les furtives larmes. Cette salle est-elle donc si mauvaise, que, même des premiers rangs de l’orchestre, nous n’entendions que tumulte et confusion ? Les chœurs s’égarent dans les descentes chromatiques, à travers les harmonies dissonantes. L’orchestre accompagne avec une mollesse désespérante; c’est à peine si l’on perçoit une petite flûte, qui devrait déchirer l’air de ses sifflemens. Le dernier unisson surtout est pris dans un