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mouvement uniforme qui l’étrangle. La phrase que Saint-Bris disait tout à l’heure avec tranquillité : Pour cette cause sainte, doit se précipiter maintenant comme une avalanche, et prendre, par la combinaison des crescendo et des rallentando, une ampleur de rythme et surtout une intensité de sons formidable. Que l’on multiplie, s’il le faut, les tambours, ainsi que cela se fait à Milan, mais que leurs roulemens, de plus en plus nourris, de plus en plus serrés, nous étreignent dans un étau. Que le chef d’orchestre élargisse son geste et, quand éclate la note la plus haute (Mes sermens), qu’il retienne l’orchestre et les chœurs suspendus, ne fût-ce qu’une seconde, sur cet abîme d’harmonie, où retombe, pour s’y achever, l’imprécation sublime des conjurés hors d’eux-mêmes.

L’interprétation du grand duo n’est qu’un long contresens, et l’on ne saurait assez protester contre de pareils travestissemens. Pas une nuance du texte ni de la musique n’est comprise; pas une intention du maître n’est rendue. Après la première ritournelle de clarinette, dite trop vite, sans émotion, sans angoisse, Raoul commence : Le danger presse, et, sur ces mots : Laisse-moi partir, il pousse déjà la note, au lieu de la laisser tomber en suppliant, en homme qui sent bien qu’il ne partira pas. Désormais la violence et la brutalité sont maîtresses de la scène. Le ténor a trouvé sa partenaire. Tout à l’heure déjà, Valentine avait accentué avec une outrance déplorable le contraste d’un élan passionné et d’une chaste réticence, indiqué seulement par Meyerbeer sur ces mots répétés deux fois : Sauvez Raoul! Mais quand vient l’aveu : Je t’aime, aussi difficile à dire, il est vrai, que le fameux C’est toi qui l’as nommé de Phèdre, alors l’effet est pire encore, et ressemble à l’explosion d’une marmite! Et comment répond Raoul? Avec la même frénésie. Étrange absence du sentiment dramatique! Il ne voit donc pas quel horizon s’éclaire? son cœur ne se fond donc pas dans une surprise délicieuse, puisque à ces trois exclamations: Tu m’aimes, dont la dernière devrait être à peine un soupir, nous demandons inutilement un frémissement, un éblouissement d’amour? En vain, les violoncelles s’épanchent, et bercent de leur suave cantilène l’extase la plus enchanteresse qui jamais ait ravi une âme de vingt ans. Dans cette nuit d’épouvante, encore silencieuse, mais qui retentira bientôt du signal meurtrier, en vain un doux rayon se pose sur le front du jeune homme, en vain des souffles embaumés passent sur ses cheveux et rafraîchissent sa tête brûlante ; en vain l’ivresse l’envahit et, avec l’ivresse, l’oubli; il crie, il crie toujours. Tête-à-tête sublime, le plus ardent et le plus chaste des dialogues immortels, on profane honteusement votre mystérieuse langueur! A défaut des notes, le chanteur devrait pourtant comprendre au moins les mots, et savoir qu’on ne par le pas d’amour comme on crierait au feu. M. Duc chante à pleine poitrine, quand il devrait, à l’exemple de Nourrit, de Roger, chanter en voix