composé de royalistes ardens, en nombre limité, mais bruyans et démonstratifs ; ces deux courans alternaient selon les quartiers, croissant ou décroissant plus ou moins, mais toujours distincts ; le dernier devient prédominant aux approches des Tuileries.
Louis XVIII, cheminant en calèche avec sa famille, avait l’air ouvert et sérieux, sans émotion apparente, Mme la duchesse d’Angoulême, cette physionomie grave et morose que nous lui avons toujours connue. M. de Chateaubriand a fait de la poésie sur l’attitude farouche et sinistre des troupes devant lesquelles passait le cortège. Je les ai bien observées, rien de semblable ne m’a frappé et je n’ai rien remarqué qui ait fixé mon attention. Les généraux à cheval autour de la calèche étaient visiblement agités et inquiets. Je rentrai chez moi, médiocrement satisfait et dans un état d’esprit tout à fait perplexe.
Depuis ce moment jusqu’au jour de la promulgation de la charte, je suivis de l’œil la marche et les progrès du nouveau gouvernement, mais sans aucun effort pour m’en rapprocher et me tenant plutôt à distance des personnes de ma famille ou de ma connaissance qui s’y engageaient de plus en plus. J’étais néanmoins tenu fort au courant des délibérations du comité chargé de rédiger la charte et cela par une circonstance assez singulière.
J’ai parlé de mon excellent ami et camarade Pépin de Bellisle. Il était revenu en France lorsque notre armée avait définitivement évacué l’Espagne, et je l’avais retrouvé à Paris lorsque je revins moi-même de Prague. Je le voyais souvent. Élevé dès sa première jeunesse par M. et Mme Beugnot, presque enfant de cette maison, il m’y présenta. M. Beugnot, alors ministre par intérim du gouvernement provisoire, tenait la plume comme secrétaire dans le comité de constitution désigné par le roi. Nous allions chez lui, Bellisle et moi, presque tous les soirs. Il nous racontait habituellement la séance du matin, et nous restions fort avant dans la nuit à discuter. Nous lui faisions la guerre lorsqu’il faiblissait dans la défense des principes constitutionnels, et s’il a, comme je le crois, exercé quelque influence, quant à l’adoption de certaines dispositions contestées, peut-être n’y avons-nous pas été complètement étrangers.
Né à Troyes, en Champagne, dans une condition honorable et modeste, entré de bonne heure au barreau, et, plus tard, à l’assemblée législative, membre de la courageuse minorité qui honora cette assemblée, emprisonné sous la Terreur, devenu successivement sous l’empire préfet de Rouen, conseiller d’état, administrateur du royaume de Westphalie, M. Beugnot était, à coup sûr, un homme très honnête et très éclairé. Son esprit était étendu, simple et sagace, son instruction très variée, sa conversation, charmante. Il avait vu beaucoup ! d’hommes et beaucoup de choses ; il les avait très bien vus, et sa mémoire était infaillible. Mais il n’avait