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émotion réelle plutôt que sincère, et qui ne tire pour personne à la moindre conséquence. Le rideau tombé, le vieux roi roulé dans son fauteuil, il n’en était plus question. Les séances ordinaires attestaient le découragement universel par l’absence de toute discussion, par l’empressement à accorder au gouvernement tout ce qu’il jugeait à propos de demander. C’était un malade incurable, auquel on passait ses moindres désirs et qu’on retournait d’un côté sur l’autre. Le soir, M. Lainé, président de la chambre des députés, le seul, en tout ceci, qui eût conservé de la dignité, du courage et de la prévoyance, M. Lainé, dis-je, réunissait chez lui les personnes qu’il jugeait les plus résolues et les plus sensées, les membres de l’ancienne commission de l’Adresse en 1813, — cette Adresse qui fut, en quelque sorte, le coup de cloche de la chute du gouvernement impérial, — d’autres encore, M. de Sacy, Dupont de l’Eure, Benjamin Constant, etc. Je faisais régulièrement partie de ces conférences. Comme elles n’avaient aucun caractère officiel, elles ne menaient à rien et tournaient en doléances.

Dans le nombre des propositions qu’on y hasardait, vaille que vaille, la seule qui eût quelque sens et qui pût avoir quelque efficacité, ce fut celle de combler les vacances dans le sein de la chambre des députés, en lui faisant élire elle-même de nouveaux membres, et en dirigeant son choix sur des noms honorés et populaires. C’eût été, sans doute, un coup d’état, mais un coup d’état utile et innocent. La proposition échoua par le refus positif de M. de La Fayette et de M. d’Argenson, les deux premiers dont le nom eût été mis en avant.

M. de Lally nous donnait, chaque soir, la comédie dans ces réunions. Il commençait ses interminables harangues en répandant des torrens de larmes sur les infortunes de la maison de Bourbon, et les terminait en répandant des torrens d’injures sur chacun des membres de la famille royale.

Dans les intervalles libres que me laissaient les séances des chambres et les réunions dont je viens de parler, j’attirais chez moi plusieurs jeunes amis que je m’étais fait récemment à l’occasion du procès du général Exelmans. Je veux parler des rédacteurs du Censeur européen, le journal le plus libéral, le plus résolu et le plus désintéressé qui ait honoré notre temps et notre pays ; je veux parler de plusieurs de leurs collaborateurs, au nombre desquels on comptait déjà Augustin Thierry, qui s’est acquis depuis une mélancolique et glorieuse célébrité. Nous parcourions souvent ensemble les vues, les carrefours, les lieux publics, nous mêlant à la foule, et écoutant ce qui se disait ; tout était morne, calme, indifférent ; au fond sans regret, sans espoir, mais non sans inquiétude.

« Mon cher, disait quelques jours après l’empereur à M. Mollien,