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chambre des pairs. Je soutenais qu’une chambre des pairs héréditaire contre laquelle protesteraient, par leurs absences ou par leurs refus, tous les noms historiques de l’ancienne France et beaucoup des noms de la France nouvelle, serait discréditée, de prime abord, et incapable de rien faire de bon m d’utile. M. de Humboldt m’appuya. Nous cherchâmes d’autres combinaisons sans parvenir à nous accorder, et je vis bien qu’au fond tout était déjà décidé.

Je rendrai, d’ailleurs, à Benjamin Constant cette justice, qu’il n’essaya pas d’exercer sur moi le genre de séduction qui ne lui réussit que trop sur un homme qui paraissait plus difficile à gagner, sur Sismondi, l’historien des républiques italiennes : esprit éclairé, libéral, honnête, désintéressé et dont il fit contre toute attente un bonapartiste de circonstance.

Témoin de cette manœuvre à laquelle je ne pouvais rien, connaissant à peine Sismondi, n’ayant aucun droit de lui offrir mes conseils, je me rappelai par occasion ce qui m’avait été raconté d’une comédie ou proverbe, joué quelques années auparavant sur le théâtre de Coppet et dont le singulier sujet était la tentation dans le paradis terrestre. Benjamin Constant y figurait le tentateur et s’en acquittait, m’a-t-on dit, avec un art, une verve, un entrain plus dignes d’admiration que d’envie.

Quoi qu’il en soit, s’il réussit, le mal ne fut pas bien grand. Sismondi était étranger, membre du conseil représentatif de Genève, attaché à son pays ; lors même que son noble caractère ne l’en eût pas préservé, il était impossible de l’enrôler au service de l’empire. Tout se réduisit, de sa part, à l’approbation des cent jours, et c’était déjà beaucoup trop, à quelques articles insérés dans le Moniteur, en défense de l’acte additionnel, plutôt enfin à une manifestation contre les Bourbons et l’ancien régime qu’à toute autre chose.

Il parut enfin, cet acte additionnel ; il fut soumis, par oui et par non, à la sanction du peuple et l’obtint aussi facilement que l’avaient obtenue ses devanciers et que l’obtiendront ses successeurs. Il fut en même temps accueilli avec une réprobation non moins universelle que les signatures dont il était revêtu. On ne fit aucune attention à ce qu’il pouvait renfermer de sage et de libéral. C’était une charte octroyée ; c’était une nouvelle édition, revue et corrigée, des constitutions de l’empire. En fallait-il davantage pour défrayer les criailleries d’un public, hélas ! et d’un peuple qui ne se soucie point du fond des choses ?

Pour ma part, je le pris au sérieux. J’y trouvai beaucoup de dispositions efficaces et sincères ; pénétré, dès cette époque, de l’idée que j’ai toujours conservée et suivie, à savoir qu’en politique il ne fallait pas rêver l’idéal, mais tendre au possible avec activité et persévérance, je pris sur-le-champ mon parti ; je laissai là Paris,