ordonnance, aux tribunaux militaires un nombre indéterminé de généraux engagés dans les événemens du 20 mars. Cette inauguration du nouveau règne dans le dessein, nous disait-on, de fortifier le ministère Talleyrand-Fouché, notre unique garantie contre la réaction ultra-royaliste, me parut de mauvais augure. C’était donner l’exemple de la violence à des gens qui s’y livraient volontiers de leur plein gré.
L’événement ne tarda pas à justifier ma prévoyance. Avant même que les élections fussent terminées, M. de Talleyrand avait déjà jeté son confrère à l’eau. On raconte que Carnot, porté sur la liste des bannis, ayant été trouver Fouché, lui dit avec une humeur bourrue :
— Où veux-tu que faille, traître ?
— Où tu voudras, imbécile ! lui répondit son ancien collègue du comité du salut public.
Le traître alla bientôt rejoindre l’imbécile. On lui proposa d’abord la mission des États-Unis, qu’il refusa, puis il fut tout heureux et tout aise, comme le héron de la fable, de se contenter de celle de Dresde ; puis il sortit de France, à peu près déguisé, pour éviter qu’on lui jetât de la boue, à son passage dans certaines villes ; puis enfin il se retira à Grætz, où ce monstre vieux et hideux mourut bientôt après, dans les bras d’une jeune personne, belle et de grande maison, dont le royalisme s’était épris de lui, dans ce court intervalle de sottise où la contre-révolution en raffolait, où M. le comte d’Artois et le duc de Wellington le portaient dans leurs bras, aux pieds goutteux de Louis XVIII.
Bientôt après vint le tour de M. de Talleyrand ; les élections terminées il disparut devant l’ombre de la chambre introuvable, qu’il avait trouvée et préparée de ses mains ; le 7 octobre, les deux chambres, l’une toute nouvelle, l’autre ayant fait peau neuve, se réunirent pour voter, d’entrée de jeu et presque d’acclamation, une loi draconienne sur les écrits et les cris séditieux, une loi suspensive de la liberté individuelle, une loi qui rétablissait les cours prévôtales.
Tout ceci m’était odieux. Je m’étais senti profondément humilié du traitement rébarbatif infligé à la chambre dont je faisais partie. J’en avais vu sortir, à mon grand regret, la plupart des anciens sénateurs, avec lesquels j’avais fait campagne en 1814. Mon chagrin même en était venu à ce point, que je résolus de donner ma démission, et de me ranger ainsi volontairement du côté des éliminés. Le coup d’état royal ayant ouvert la chambre des députés aux hommes de vingt-cinq ans, je comptais essayer de rentrer par cette voie dans les affaires. J’allai consulter, à ce sujet, celui de mes anciens collègues qui m’inspirait le plus de confiance