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ennemis. Comment ses avocats, les deux Berryer, père et fils, comment Dupin lui laissèrent, ou lui firent commettre cette faute capitale, — capitale, c’est le mot propre, — je n’ai jamais pu le comprendre.

On sait que, le 11 novembre, c’est-à-dire le lendemain du jour où le conseil se fut déclaré incompétent, M. de Richelieu, le successeur de M. de Talleyrand, s’en vint à la chambre des pairs, comme un furieux, tenant en main un discours écrit tout entier par M. Lainé, et demandant justice au nom de l’Europe, sommant, en quelque sorte, la Chambre d’expédier le maréchal Ney, comme s’il s’agissait d’un simple projet de loi.

On sait que la chambre, toute mutilée qu’elle fût, toute rembourrée qu’elle fût d’excellens royalistes, entendit ce discours avec une telle indignation, que, le lendemain 12, M. de Richelieu en fit amende honorable : rien ne peut mieux témoigner de l’état des esprits à la cour, qu’une telle équipée de la part de deux hommes sages, modérés et humains.

La chambre des pairs, ayant décidé qu’elle se constituerait régulièrement en cour de justice pour prononcer sur le sort du maréchal Ney, poussa le respect des formes jusqu’à ce point de s’imposer toute la série des conditions prescrites par notre code d’instruction criminelle ; elle procéda par commissaires à l’instruction, statua par arrêt sur la mise en accusation, et fixa le 21 novembre pour l’ouverture des débats. Jusque-là, je n’avais point à m’en préoccuper ; huit jours me séparaient encore de l’époque où j’aurais voix délibérative ; mais, l’audience du 21 novembre ayant été sur la demande du maréchal remise au 4 décembre, il se trouva que j’atteignais l’époque fatale.

Que faire ?

Je pouvais éviter de prendre part au jugement. J’en avais plus qu’un prétexte. Il est de règle en justice qu’un juge ne doit pas siéger dans une affaire déjà commencée. Mais il me répugnait de m’abriter sous ce prétexte, et je pris mon parti sans en parler à personne.

Le 4 décembre, je pris séance. J’entrai, à onze heures du matin, dans la chambre du conseil, déjà réunie. La chambre du conseil, c’est-à-dire le lieu où la chambre délibérait, hors la présence du public, c’était la galerie de tableaux. Je vois encore d’ici la position de chacun des membres à moi connus, et la place que je pris moi-même au dernier banc. Chose inconcevable : si j’en étais requis, je prêterais serment en justice que le sujet de la délibération, c’était la question de savoir si l’on permettrait au maréchal Ney de plaider la capitulation de Paris. On sait que ce fut le tort, le grand tort, je dirai presque le crime de la chambre des pairs, d’avoir, en