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ceci, fermé la bouche à l’accusé. J’entends M. Molé parler dans un sens, Lanjuinais et Porcher de Richebourg en sens opposé ; cette séance a fait époque dans ma vie ; elle a fait époque dans la carrière et la destinée de la chambre des pairs. Comment se peut-il que je me trompe ? Il le faut bien, néanmoins, puisque le procès-verbal place cette séance non pour le premier, mais le dernier jour du procès, à l’issue des plaidoiries ; mais, tout en reconnaissant mon erreur, c’est ma raison qui se soumet ; ma mémoire reste intraitable, et, je le répète, si je ne consultais qu’elle, je prêterais serment contre le procès-verbal. Cela fait trembler pour la justice humaine. A quoi tiennent ses décisions et le sort des accusés ?

Je n’entrerai dans aucun détail sur la partie publique du procès. Tous les historiens en ont rendu compte ; le Moniteur est dans toutes les bibliothèques. Dès le premier jour, m’entretenant avec Lanjuinais qui siégeait à côté de moi, il m’invita à venir le soir chez lui, pour causer avec quelques collègues de l’état de l’affaire et de la conduite à tenir. J’acceptai avec empressement. La réunion ne fut pas nombreuse, car elle se réduisit au maître du logis, à M. Porcher de Richebourg et à moi ; les autres, s’il y en avait en d’autres, s’étant apparemment ravisés.

Nous nous mîmes promptement d’accord sur le résultat définitif. La condamnation étant certaine, nous convînmes de voter pour toute peine inférieure à la peine capitale qui aurait chance de réunir le plus grand nombre de voix ; la déportation, qu’il devenait facile de commuer promptement en simple exil, nous parut la plus appropriée à la personne et aux circonstances. Mais nous ne parvînmes point à nous entendre sur le sens et le tour qu’il convenait de donner à notre vote, sur le choix et l’explication des motifs.

Lanjuinais soutint qu’il fallait se retrancher derrière la capitulation de Paris, dont la chambre n’avait pas permis la discussion aux défenseurs, mais ne pouvait interdire l’examen aux juges.

Nous lui répondions que la capitulation de Paris ne couvrait pas le maréchal dans l’intention des signataires, lesquels, d’ailleurs, n’avaient pas qualité pour engager Louis XVIII à l’égard de ses propres sujets, ce qui était vrai, à la rigueur. Lanjuinais se défendait mal ; s’il nous eût dit simplement qu’en matière criminelle il suffisait qu’un moyen de droit pût être allégué selon sa lettre, et quelle que fût sa valeur morale, pour profitera l’accusé ; qu’en cette matière il fallait toujours appliquer la maxime : Favores ampliandi, odia restringenda, il nous aurait persuadés.

Porcher insistait pour qu’on se bornât à faire valoir, en avouant le crime, la gloire du maréchal et les grands services qu’il avait rendus à l’état. Cela aussi pouvait très bien se soutenir.

Quant à moi, j’avais un système que je tiens encore pour valable,