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tenons-nous-en au XVe siècle même, à l’ère des primitifs, ces maîtres sincères entre tous, nous ne tardons pas à découvrir que, numériquement du moins, la supériorité des Flandres est écrasante ; grâce à leur activité dévorante, elles ont réduit à l’état de simples tributaires la France, l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne, le Portugal, la Scandinavie, tandis que l’Italie, qui, au-delà des Alpes, compte à peine quelques recrues en Hongrie, est forcée à tout instant de lutter sur son territoire, notamment dans le royaume de Naples, contre l’invasion étrangère.

La différence d’inspiration n’explique que trop cette disproportion, si anormale au premier abord. D’une part, une société plus choisie, une culture plus complète et plus haute, une plus grande liberté intellectuelle, un idéal plus noble ; de l’autre, une habileté technique qui tient du prodige, et l’intuition la plus profonde des mystères de la vie ; ici des conceptions qui s’adressent avant tout à l’aristocratie de l’esprit (les artistes italiens, en ressuscitant l’antiquité, n’ont-ils pas déclaré qu’ils entendaient rompre avec les masses ? ), là un art qui, grâce à son tour populaire, grâce aussi à la multiplicité de ses moyens d’expression, pénètre jusque dans les couches les plus profondes. Est-il nécessaire de rappeler avec quelle facilité ses tableaux, véritables miniatures, ses gravures sur bois et sur cuivre, ses tapisseries, pénétraient partout, comme jadis les bronzes des Phéniciens, les ivoires ou les tissus des Byzantins ? Ici, enfin, toutes les forces vives de la nation, la politique, la religion, la littérature, la science, tendant vers le même but, la résurrection de la culture antique ; là un essor limité à quelques branches isolées. Même exubérance de vie d’ailleurs des deux côtés, même richesse, même luxe : — est-il un art possible sans de tels auxiliaires ? — même besoin des jouissances intellectuelles, qu’il s’agisse de la cour des ducs d’Urbin, des rois de Naples, des Médicis, ou de celle des ducs de Bourgogne, ou encore des fières municipalités de Bruges, de Gand, d’Anvers et de Bruxelles. Ce sont ces analogies et ces contrastes que je voudrais essayer d’analyser ; c’est la double influence des causes permanentes : climat, sol, race, et des causes historiques, pour employer l’heureuse formule de M. Taine, que j’aurais à cœur d’exposer devant les lecteurs de la Revue.

Si l’on s’attache d’abord à celui des arts qui revendique ajuste titre le droit de donner le ton aux autres, puisqu’il leur trace le cadre qu’ils sont appelés à remplir, — je veux parler de l’architecture, — on trouve le style gothique partout en possession, de ce côté-ci des Alpes, de la faveur publique. Les tendances que notre époque peut considérer comme des défauts dans le gothique de la dernière période sont précisément celles qui lui valaient son