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vieillesse le secret de la peinture à l’huile, personne n’étant admis dans son atelier que Roger Van der Weyden. Mais cette assertion est formellement démentie par les textes du XVe siècle. Nous y voyons que, dès 1425, la ville de Gand commandait à Jean de Scoenere une Vie de la Vierge et une Sainte Cène peintes à l’huile. L’historien de la peinture flamande, M. Michiels, mentionne même un contrat de 1419, par lequel Guillaume Van Axpoele et Jean Martens s’engagent à restaurer en bonnes couleurs à l’huile, sans mélange de substances corrosives, plusieurs panneaux anciens.

Quelles que soient, en réalité, les améliorations inventées par Jean Van Eyck, il est certain qu’elles ont eu pour résultat de donner au coloris plus de souplesse et plus de chaleur. Rien ne se saurait imaginer de plus intense, de plus profond, de plus lumineux que certains de ses tons favoris, notamment le rouge, le bleu et le vert. C’est un régal pour les yeux. Les tableaux de Piero della Francesca sont aussi légers, aussi transparens ; ils ne sont pas aussi nourris, aussi chauds, aussi éclatans dans les tons sombres. Je n’essaierai pas ici de retracer l’histoire de la peinture à l’huile. Il suffira de rappeler que, pendant tout le XVe siècle, les Flamands et les quelques Italiens qui les imitèrent, à commencer par Antonello de Messine (en Italie, la peinture à tempera, la détrempe et la fresque ne cessèrent d’être en honneur pendant toute cette période), apportèrent un soin infini à la préparation technique de leurs tableaux. Ceux-ci sont frais et brillans comme s’ils venaient de quitter le chevalet. Le premier, Léonard de Vinci, tout chercheur et tout savant qu’il fût, ou négligea la préparation de ses couleurs, ou voulut demander à la pointure à l’huile plus qu’elle ne pouvait donner. On sait dans quel triste état se trouve aujourd’hui la Cène du couvent des Grâces. Ses tableaux proprement dits se sont rembrunis, alors toutefois qu’ils ne se sont pas crevassés. Raphaël qui, dans les productions de sa première manière, s’inspira des excellentes habitudes de prévoyance des Ombriens, se relâcha de plus en plus vers la fin de sa vie de ces sages précautions. Le noir d’imprimerie dont il abusa, notamment dans le Saint Michel du Louvre, a causé autant de ravages que de nos jours le bitume. Chez les Vénitiens, qui, d’ailleurs, contrairement à l’opinion commune, cultivèrent la peinture à la détrempe concurremment avec la peinture à l’huile, beaucoup de toiles, entre autres celles du Tintoret, ressemblent à de vastes pâtés d’encre. Et que de victimes depuis, rien que parmi les peintres de notre siècle !

La science a en une part considérable au succès des frères Van Eyck, mais, proclamons-le bien haut, c’est le génie qui a rendu féconde la révolution à laquelle ils ont attaché leur nom. Ils étaient plus que des alchimistes, — ainsi les considéraient leurs