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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/579

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celle du mausolée italien, tel que l’a réalisé la renaissance. En Italie, pendant tout le XVe siècle, les tombeaux sont à peu près invariablement adossés au mur ; en France et dans les Flandres, la règle, c’est le tombeau isolé de toutes parts. Cette simple modification a suffi pour imprimer à la sculpture funéraire des deux contrées un caractère absolument distinct. En Italie, la statue du défunt, généralement drapée à l’antique, et étendue dans une pose noble sur un sarcophage, est vue d’en bas et de profil ; de nombreux ornemens, empruntés à l’art classique, forment autour d’elle comme une auréole. Ce n’est pas, si l’on veut, l’apothéose, c’est le repos dans un monde idéal, loin des préoccupations d’ici-bas. En France, au contraire, la statue isolée sur son soubassement s’impose à l’attention non-seulement par son isolement même, mais encore par une foule de particularités qui n’ont rien d’abstrait : le costume même, qui est celui du temps et non une restitution archéologique, l’écusson, qui est celui de la famille, l’ours, le lévrier ou l’épagneul accroupis, substitués aux animaux héroïques chers aux Italiens, l’aigle, le lion, la licorne. Dès ce moment, sous l’influence du courant réaliste qui transformait les idées aussi bien que le style, on voit apparaître, quoique de loin en loin seulement, ces figures de « gisans » qui devaient conquérir une place si considérable dans la statuaire française du siècle suivant. En 1302, dans le monument du cardinal de La Grange, on avait représenté le défunt à l’état de squelette ; en 1457, les enfans de Jacques Cœur firent représenter leur mère toute nue sur le mausolée qu’ils lui élevèrent dans une des églises de Bourges. Lorsque l’étude du nu se développa (elle avait été très certainement été longtemps interdite par les mœurs), on se complut dans l’exécution de véritables pièces anatomiques, d’un effet horrible. Qui n’est tenté, devant les cadavres de Louis XII et d’Anne de Bretagne, sculptés pour l’abbaye de Saint-Denis, avec des raffinemens de réalisme hideux, de répéter l’exclamation arrachée au président de Brosses par la vue du tableau dans lequel le bon roi René avait peint sa maîtresse rongée par les vers !

Le style inauguré par Sluter pour les monumens funéraires se maintint jusque vers la fin du siècle ; nous retrouvons les figures de pleureurs dans le mausolée de Philippe Pot, d’abord grand-sénéchal du duché de Bourgogne, puis gouverneur de cette province, mort en 1494 et enterré à quelques kilomètres de Dijon, dans la fameuse abbaye de Cîteaux. Ce personnage, suivant la coutume, avait lui-même préparé son tombeau, qui est donc antérieur de quelques années. Il se fit représenter armé de pied en cap, les mains jointes, un ours couché à ses pieds. Huit pleureurs, la figure