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heurtées et confuses, sans un accord harmonieux, sans un souffle de poésie.

Nous accusera-t-on de partialité, après les exemples qui viennent d’être rapportés, si nous déclarons que Roger, malgré des qualités de tous points remarquables, malgré la chaleur du coloris et l’énergie des expressions, surtout lorsqu’il s’agit de la douleur, est l’artiste qui a le plus contribué à introduire dans l’art flamand cette pauvreté de types, cette incorrection et cette incohérence de groupement, que tous ses autres mérites sont impuissans à racheter ? Avec lui, toute tradition de rythme, de noblesse, ou même de clarté et de netteté, est constamment battue en brèche.


Le chef de l’école de Louvain, Thierry Bouts, s’engagea plus avant encore dans la voie tracée par Roger. Son œuvre maîtresse, la Légende de l’empereur Othon, au musée de Bruxelles, retrace, avec une simplicité de moyens extraordinaire, un naïf récit du moyen âge. « Pendant un voyage de l’empereur Othon III en Italie, nous raconte-t-on, l’impératrice sa femme s’éprit d’un gentilhomme de la cour, qui, marié lui-même à une femme qu’il aimait, repoussa les avances de sa souveraine. Au retour d’Othon, l’impératrice accusa, pour se venger, le gentilhomme d’avoir voulu la séduire, et l’empereur, sur cette seule dénonciation qu’aucune preuve ne confirmait, fit décapiter l’homme qu’il croyait coupable. Cependant, la veuve du gentilhomme vint en appeler à l’empereur de sa propre sentence ; elle offrit de démontrer l’innocence de son mari par l’épreuve du feu. Ayant été admise à subir cette épreuve, elle tint dans la main une barre de fer rouge sans en ressentir le moindre mal. Vaincu par ce miracle, l’empereur se mit à la discrétion de la veuve, qui voulut d’abord l’obliger à mourir lui-même pour venger l’innocent, mais qui finit par se contenter du trépas de l’impératrice, laquelle fut brûlée vive. » La composition, malgré l’absence de mise en scène, malgré le manque d’action proprement dite, a une tournure superbe, que la chaleur du coloris ne fait que relever. Les acteurs, de grandeur naturelle à peu près, des figures élancées, nettement découplées, pleines de fierté, presque impassibles, sont tout entiers à leur rôle, ou plutôt ce ne sont pas des acteurs, ce sont des hommes pris dans la réalité, sans nulle trace d’arrangement en vue d’un effet dramatique. La scène est intéressante, belle, éloquente, à force de naturel, de vérité et de sérieux ; on dirait une photographie prise au XVe siècle.

La Sainte Cène, du même auteur, dans l’église Saint-Pierre, à Louvain, offre tout l’intérêt d’un festin peint d’après nature, mais d’un festin qui aurait en lieu au XVe siècle, non au Ier. Supprimez